Un amour qui n’a point besoin de traduction
Fatiha TAIB
Traduit par : Driss EL BAOUCHARI
Aucune parole ne serait capable de décrire la splendeur de ce matin-là, quand, en ouvrant les yeux, elle découvrit que son rêve - abandonné depuis quelque temps malgré elle- avait donné naissance à une autre réalité surprenante et inattendue.
Quelle merveilleuse nature plus belle que le rêve !
Alors qu’elle contemplait - semblable à quelqu’un qui venait de s’éveiller après une longue léthargie - la création du Seigneur dans cet univers, les couplets d’une chanson caucasienne lui effleurèrent l’âme :
- « Si tu es splendide à ce point, pourquoi, violette, ne t’ai-je pas remarquée auparavant ?
- Car, auparavant, je n’avais pas encore ouvert mon cœur à l’amour
-Toi ?
-Je ne crois pas..
-Peut-être…
La certitude est que l’Histoire du vainqueur a habitué mon regard à s’accrocher aux grands remparts, comme ceux qui ont voilé ta lumière en t’annexant de force sous prétexte de l’union, presque à l’instar des Mongols et des Turcs d’Orient qui t’ont fait sentir que Dieu t’avait délaissée.
Aujourd’hui… c’est une autre journée. Aujourd’hui, je te dis avec la surprise de celle qui fait une découverte :
- Dila mshvidobisa Tiflis დილა მშვიდობისა
- Gamarjoba გაუმარჯოს
Le fils de la maitresse de maison l’accueillit.
- Merci, répondit-elle en anglais.
Les traits du visage de son hôte lui firent comprendre que celui-ci lui souhaitait la bienvenue.
Il lui dit en russe que son anglais était médiocre. Elle comprit difficilement son intention même si elle se remémorait le vieux rêve pour lier les significations des mots russes.
Quelques instants s’écoulèrent avant qu’elle ne réponde, aidée d’un dictionnaire franco-russe qu’elle avait, par précaution, apportée avec elle ; elle finit par dire :
- Moi aussi, je ne parle pas bien le russe, comme tu vois. Que chacun de nous parle sa langue. Et qui sait ? On n’aurait peut-être pas besoin de traducteur…
Il apprécia son effort et sa réponse par un large sourire et acquiesça : Diakh დიახ.
En proposant au bel homme, raffiné et délicat, de converser en deux langues différentes, elle savait qu’elle proposait l’impossible…
Ils entreprirent l’aventure, et leurs langues soutenues par le langage des signes se substituèrent à la langue de l’hégémonie nouvelle dont l’écho terrible menaçait la splendeur de l’image, tout en transperçant le Caucase.
Elle ne trouva aucune difficulté à comprendre ce que lui expliquait son interlocuteur à propos des affaires domestiques ; lui non plus n’a pas manqué à déployer toutes ses forces à saisir toutes ses demandes d’explications. Et quand il se trouva devant des reproductions de Niko Pirosmani accrochées au mur du salon, il lui signifia par son silence et son recueillement devant ces tableaux qu’elle était l’hôtesse de l’une des sommités de l’art universel.
Enfin, il l’invita à s’asseoir sur un canapé et se dirigea vers le piano installé dans le salon. Il joua un morceau qu’il avait composé lui-même pour lui souhaiter la bienvenue, comme il le lui a expliqué.
La magie des mélodies emplit la maison…, elle applaudit le physicien musicien.et pensa : « La vie n’a vraiment pas de goût sans entreprendre l’aventure de l’impossible »…
Ils se turent un instant puis éclatèrent de rire ; leur bonheur était celui de quelqu’un qui aurait réalisé au gré du hasard une âpre victoire. Il saisit une feuille et se mit à écrire. Il la lui remit à la fin. Elle recourut au dictionnaire franco-russe et lit en russe :
L’amour, madame, n’a pas besoin de la traduction !