Enseignement privé, pas marchand, encore moins mercantile!
L’éducation peut-elle devenir un service marchand, au sens capitaliste qui obéit à l’offre et à la demande? Si la réponse est non, faut-il continuer pour autant à la considérer comme un monopole de l’Etat, qui a tant de mal à s’acquitter de sa mission?
Dans le cadre de l’économie du savoir, il convient de considérer le rôle de l’enseignement payant (notion plus large que celle de «l’enseignement privé»), comme une activité d’intermédiation entre un corps d’enseignants et d’administratifs spécialisés dans le domaine d’une part, et les familles qui ne recourent pas aux services de l’Etat, d’autre part.
· Délivrer un «service éducatif»
L’établissement emploie les recettes payées par les familles pour rémunérer les facteurs qui ont concouru à délivrer le service éducatif, à savoir les salaires, les loyers des locaux et équipements, et la rémunération du capital investi pour la création du projet.
C’est, bien sûr, au niveau de ce dernier facteur que le bât blesse: on n’a pas le droit de s’enrichir sur le compte de l’éducation. Mais si la forme d’organisation économique appelle à un investissement de capitaux, sans lequel aucune action éducative de qualité ne peut prendre place, devant la défaillance de l’Etat et l’absence de fonds caritatifs pour l’éducation à grande échelle, il faut bien rémunérer ces fonds et les attirer.
C’est de la même manière que les fonds publics servant à construire les écoles sont alimentés par les impôts des citoyens, avec une «incitation» redoutablement efficace, du reste… En cela, l’intégrité de l’acte éducatif est complète, et aucune concession sur la qualité ni sur la satisfaction aux cahiers des charges n’est tolérée, sous l’œil vigilant d’une instance indépendante. Sur le plan de la gouvernance, il faut considérer l’activité comme une concession de l’Etat à des institutions régies par le droit privé, rigoureusement contrôlées par une instance publique de régulation, indépendante du gouvernement, directement rattaché au Roi ou à la Primature.
· Encourager et punir
Partant de là, une autre dimension de l’encouragement au privé est de mise.
Sans négliger les avantages économiques, elle doit privilégier une forme de partenariat actif entre le secteur privé et l’institution de tutelle, à savoir le ministère. Les véritables mesures d’encouragement devraient conduire le secteur à développer en son sein ce que l’Etat peine à réaliser dans les écoles publiques d’enseignement général, à savoir un enseignement de qualité, assorti d’objectifs évaluables en termes de performances, tourné vers l’avenir, ouvert au monde, et capable de sauver le pays de la plus grande des calamités: la dépréciation de son capital humain.Les défaillances de l’enseignement public tiennent entre autres à la lourdeur du système. Elle-même est due à une taille de «mammouth», au manque de motivation du corps enseignant, à laquelle se rajoute un syndicalisme aux attitudes parfois myopes et manichéennes, et enfin, au déficit d’esprit civique de la communauté éducative en général. Tout ceci explique les difficultés d’un ministère de tutelle, engagé fort heureusement, dans une phase salutaire de redressement, mais qui n’a encore pas su en tirer le meilleur.
Pour sa part, le secteur privé moderne ne souffre pas de ces maux. Je parle du moins d’une catégorie d’établissements modernes de nouvelle génération.
Il est important que ce secteur tire profit de ce «privilège de situation» pour améliorer la qualité de ses prestations et jouer un rôle national d’avant-garde en matière d’éducation.
Mais encore une fois, disons-le, le secteur ne mérite un tel niveau de considération et de soutien que s’il est contrôlé, par le biais d’institutions et de mécanismes efficaces de régulation. Concurrence et contrôle
Grâce à une politique courageuse de partenariat dont pourrait bénéficier le privé, il est capable de se transformer en véritable locomotive pour l’ensemble du secteur. Dans cet esprit, il pourrait constituer aussi un laboratoire d’études et d’essais. En matière de génie pédagogique notamment, le secteur est à même de bénéficier de conditions favorables pour mettre en œuvre toute réforme ou expérimenter tout programme ou production pédagogique destinés à être étendus ultérieurement à une population plus large.
Le secteur privé qui se distingue, doit sa réussite à la position concurrentielle dans laquelle il s’est placé, par la force des choses. Le secteur public, dans son acception la plus large, a perdu de son élan, justement par défaut de compétitivité.
C’est par son rôle d’émulateur potentiel que se justifie l’encouragement au secteur privé; il ne devrait pas être réduit à la seule vision quantitative, même si elle n’est pas à négliger, de création de sièges éducatifs pour soulager la charge budgétaire de l’Etat.
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Abderrahmane LAHLOU