Nous étions trois cousins .Trois compagnons inséparables ou presque, du moins pendant nos heures de liberté car nous ne fréquentions pas les mêmes écoles. Heureusement !
Tarik et Mehdi étaient demi –frères utérins .Mais Mehdi ,de quatre ans notre ainé n’avait pas toujours fait partie du clan infernal que nous formions Tarik et moi depuis que nous avions vu le jour .Tous les deux nous avions déjà eu largement le temps de faire nos preuves dans la fomentation des pires bêtises et le génie des coups foireux dans la petite enfance quand Mehdi était venu nous rejoindre .C’était juste au moment ou nous avions atteint l’âge ingrat ,miraculeusement rescapés des épreuves de force que nous nous infligions nous-mêmes. Bien qu’il ait été d’abord quelque peu décontenancé par notre audace et notre témérité, il ne lui fallut pourtant pas très longtemps pour entrer dans la danse …Tant bien que mal !
A 18 ans, avec l’obtention de son baccalauréat, son père avait été dans l’obligation de le laisser rejoindre sa mère à Rabat dans le but de poursuivre ses études .On peut dire qu’il eut en notre compagnie l’occasion de vivre enfin une adolescence décalée et d’expérimenter tout ce qu’il n’avait jamais osé jusque là auprès d’un père strict, intransigeant, et bourru.
Durant des vacances d’été ou notre désir de rébellion en pleine ébullition avait atteint son paroxysme, je reçus la permission inattendue et exceptionnelle de rejoindre mes cousins pour un séjour providentielle au bord de la mer .Nous ne pouvions rêver mieux pour l’exercice et le peaufinage de nos talents sans cesse en évolution. Mes parents, qui jugeaient mon oncle et ma tante trop laxistes dans leurs idées en général et sur l’éducation des enfants en particulier n’acceptèrent de me confier à eux qu’après leur avoir soutiré la promesse solennelle de me surveiller de près et de sévir en cas de besoin .Inutile de préciser que dans l’euphorie du moment ,je ne pris pas la chose au sérieux .Le soir de mon arrivée ,quel fut notre étonnement à tous les trois de découvrir le nouveau règlement instauré spécialement en mon honneur :Un couvre-feu fixé très généreusement à 22 heures et dont le non-respect était passible de graves punitions .Ou étaient passés les personnes merveilleusement compréhensives qui m’avaient toujours permis de respirer et qui souvent avait adouci le joug de l’éducation rigoureuse de mes parents ?Pour eux ,la responsabilité de ma bonne conduite n’était pas une mince affaire et il leur fallait pour cela mettre toutes les chances de leur coté et surtout ne pas trop tenter le diable .Nous eûmes beau rouspéter ,râler ,bouder …Rien n’y fit .
Après avoir eu le loisir de méditer sur la question durant plusieurs soirs passés à nous morfondre devant le poste de télévision alors que l’ambiance battait son plein à quelques mètres seulement, nous décidâmes de passer à l’action dans les plus brefs délais .D’autant que notre fougue avait été attisée par l’annonce inopinée d’un événement hors du commun :Notre groupe avait décidé de fêter l’anniversaire d’un copain en allumant un immense feu de camp sur la plage.
Plus mon oncle et ma tante se braquaient en refusant de lever le couvre-feu plus notre envie de sortir devenait incontrôlable.
Du haut de nos tendres années, cette aventure se parait des plus merveilleux attraits et des charmes les plus insolites.
Puisqu’il n’y avait aucun moyen de nous amuser avec leur bénédiction, nous allions passer outre et …faire le mur !!!
L’expression à elle seule suffisait à nous faire entrer dans un état d’excitation et d’euphorie sans pareil
A suivre.....
Nous étions grands ,pardi!Cette interdiction de sortie frisait l'injustice !C'était le comble ,on nous prenait pour des cendrillons !Il ne fallait pas charrier tout de même !Et puis le pire! s'il nous venait à l'esprit de respecter cette clause ?Qu'allaient penser de nous nos amis?Que nous étions des gamins ou carrément des mauviettes qui craignaient encore les parents !!!
Le jour J arriva .Pour endormir les soupçons ,nous nous comportâmes en parfaits enfants modèles .Nous dînâmes docilement en famille et prîmes même le temps de participer activement à une discussion animée après le repas ,histoire de bien montrer que nous avions enterré la hache de guerre .Ensuite ,nous nous retirâmes non sans avoir omis d'émettre quelques bâillements et étirements significatifs d'une extrême fatigue tout à fait compréhensible après une longue et harassante journée au soleil .
Soigneusement pliées nos tenues d'escapade qui attendaient patiemment dans l'armoire de notre chambre avaient été minutieusement choisies afin de nous laisser libres de nos mouvements pour la périlleuse escalade de la fenêtre que nous prévoyions .Nous n'avions nulle conscience pourtant des risques que nous encourions de nous rompre le cou d'une manière aussi absurde ..Nous patientâmes deux bonnes heures ,tous les sens en alerte à guetter le plus insignifiant petit bruit qui aurait trahi un mouvement derrière la porte prudemment fermée à double tour .Quand nous fûmes à peu près certains que tout le monde avait rejoint les bras de Morphée,nous franchîmes à tour de rôle le rebord de la fenêtre en faisant attention à bien prendre appui sur la rampe qui se trouvait à l'extérieur pour amortir notre chute dans le jardin . Quand nous nous retrouvâmes à l'air libre ,nous restâmes figés un instant ,à l'affût du moindre toussotement qui nous aurait fait prestement bondir à l'intérieur de la chambre plus rapidement et sûrement que nous en étions sortis .Mais seul le chuintement des arbres dont les branches se balançaient dans la brise marine brisait le silence magique de cette nuit de liberté .
Liberté !oh liberté !Elle n'a jamais autant de saveur que lorsqu'un profond sentiment de culpabilité l'accompagne insidieusement mêlé aux piments de la peur !Quelques longues minutes plus tard,nous arrivâmes au portail après avoir traversé à pas de loup et non sans mal le chemin qui nous en séparait .Nous avions appris ce soir-là que le mouvement le plus anodin sur le gravier pouvait faire échouer une virée secrète surtout si celle -ci prenait des allures de grande évasion .Nous dévalâmes l'allée en pente qui menait à la route aussi vifs que l'éclair pour nous empresser de contourner la maison et rejoindre enfin la plage illuminée ou nos amis nous attendaient dans une ambiance des plus joyeuses.après quelques heures de folle insouciance ,il fut temps pour nous de revenir à la réalité et à notre exténuante rançon de la liberté .Nous reprîmes le chemin du retour frigorifiés mais heureux .Arrivés sous la fenêtre de la chambre ,il nous tardait maintenant de rejoindre ce havre de paix pour que les battements frénétiques de nos cœurs puissent enfin revenir à un rythme plus normal.J'entamai la périlleuse escalade dans un ultime effort vers le retour à la sécurité ,Tarik m'emboita allègrement le pas ,mais juste au moment ou notre taux d'adrénaline commençait à baisser et que les prémisses d'un relaxant soulagement s'annonçaient un assourdissant fracas emplit la sérénité de l'aube naissante .Horrifiés par ce lamentable coup du sort ,nous nous précipitâmes vers la fenêtre pour découvrir à notre grand dam,un Mehdi en proie à un combat aussi acharné que désespéré pour se débarrasser d'un seau en fer qui s'était sournoisement accroché à son pied .Après ce qui nous parut avoir durer une éternité ,il put enfin reposer le satané seau en lieu sûr et mettre cette fois là le pied au bon endroit au moment même ou le perron s'éclairait et que la porte s'ouvrait dans un sinistre cliquetis de serrures .Nous le tirâmes vers nous dans une rage proche du désespoir .Dans le jardin éclairé ,s'éleva la voix ensommeillée et pleine de courroux de mon oncle qui nous fit l'effet d'une sentence :
_Bien sûr !Encore ces foutus gamins!J'ai vu des jambes voler à travers la fenêtre!C'est bon !Vous ne perdez rien pour attendre !!!
Fouad.M. Rabat Le 11/06/2009