Salut …e
Je suis dans une attente anxieuse du résultat de l’examen.e
En vérité, toute mon attention est tendue vers ce jour fatal qui déterminera de ce long itinéraire que je me suis retracé. J’avoue que j’ai déployé une volonté diabolique en vue de réussir dans mes études. Ce n’était plus la peur de l’échec qui me poussait à me consacrer entièrement et implacablement dans l’entreprise de mon dessein. Mais, c’est plutôt la rage d’un mal indomptable qui s’empara de moi sans que je m’en aperçus ; c’est cette sacrée « littérature » qui m’a complètement possédé, déchiré et empoisonné. Crois-moi mon ami ! tu ne pourras mesurer l’étendue de cet envoûtement ineffable dont j’étais l’objet et je le serai tant que je vivrai. Ma vie est dorénavant marquée par le sceau de l’irrémédiable. Mille fois, je m’interroge sur la naissance de cette passion obscure qui me fait revivre dans le palais des rêves, des ferventes poésies et des heureux instants. J’admire ces maintes voix qui s’éveillent en moi chaque fois que je m’embarque dans le monde d’une « nouvelle Héloise » ou d’un « voyage au bout de la nuit ». J’adore ces cris désespérés, ces larmes d’amertume que ces grands artistes ont su leur insuffler une nouvelle forme, une nouvelle vie. Le réel m’importune et me tracasse. Avant d’ébaucher cette lettre, j’ai fermé à double clé la serrure de ma porte. Je me suis réfugié dans le silence de ma chambre pour qu’aucun bruit, aucun chuchotement du dehors ne m’atteignent. Autant je me sens seul, autant je me rassure de mes pensées, de mes volontés et de mes désirs. Je voudrais seulement te communiquer cette hantise de l’art, l’expression d’un attachement exacerbé à tout ce qui recrée et transpose cette vie.e
A mesure que l’été approche, je sens déjà cette vague marée de l’art envahir mon être. Les autres voyagent, découvrent un nouveau ciel, et se livrent à d’autres jouissances. Mais, moi, je demeure sous le soleil torride de cette implacable saison. Je me forge un destin singulier. Mon imagination effarouchée se délecte à se nourrir des chimères, des illusions d’autres vies. J’embrasse avec ferveur le silence de cet ultime recueillement qui ressemblerait à la prière. Je sue dans ma solitude. Pourtant, un fleuve de joie et de délivrance monte en moi. Il me semble parfois que la mort m’est plus tolérable que de renoncer à cette folle fantaisie qui habite les fibres de mon cœur.e
Mon ami ! je te parle de cette vocation terrible comme s’il s’agit d’un mal auquel je suis voué irrévocablement, vu que tout excès est un mal en soi. Peut être n’y a-t-il pas d’autre salut que dans l’art. me sentais-je parfois accablé, brisé sous le poids écrasant de l’existence, je m’échappe dans les vagues sites de Lamartine ou je me fais moi-même un Meursault » qui reconnaît l’absurdité de ce monde.e
L’art a, certes, une fonction rédemptrice, mais il comporte certains périls. On n’en sort jamais sain et sauf quand on affronte les orages et les tempêtes. Il faut plier, tout d’abord, ce corps, cette « carcasse immonde » à certains privations cruelles. C’est notre pensée, notre âme qui sera le sujet de la révélation créatrice. Tout le reste n’est qu’un cortège de mensonges et de vulgarités. Notre pensée devient sublime aussi longtemps qu’elle s’arrache au néant de l’existence.e
J’espère que tu as parfaitement compris cette obsession sans égal. Maintenant, je souhaite que tu me rende compte de tes nouvelles dans la prochaine lettre.e
Au revoir … ! e