Ami, si je te parlais de ma jeunesse, e
D’un temps insensé et des chemins perdus
Dans les lointains déserts sans cesse. e
Qu’auriez-vous répondu ? e
Je n’ai jamais goûté la saveur d’une rose, e
Ni la fraîcheur d’une seule nuit de printemps. e
L’azur des cieux me paraissait souvent morose
Et les oiseaux ne chantaient plus depuis longtemps ! e
J’aimais me promener, seul, dans le cimetière, e
Où l’épais brouillard me couvait parmi les morts, e
Qui, dans le silence éternel me confiait leur misère, e
D’une voix si calme qu’ils se plaignaient sans remords. e
Ici-bas, j’étais un martyr et je le suis encore
Au sein d’une jeunesse voué à l’oubli. e
Je souffrais beaucoup âme et corps, e
Jusqu’à la démence et l’extrême folie. e
Pour me nourrir, j’ai trimé dans les champs, e
J’ai creusé la terre et semé le blé, e
Depuis le lever du soleil jusqu’au couchant. e
Souvent, je me couchais sous un toit désolé, e
Regardant le feu qui palpitait toujours près de moi, e
En hiver, je l’adorais puisqu’il m’abritait du froid. e
Le foin était mon lit, le pain sec me servait pour dîner, e
Ainsi, j’ai vécu horriblement les mois et les années. e
Ami, si je te dis mes profonds secrets, e
Si je te raconte l’histoire d’un cœur oublié, e
Vous allez certainement pleurer
Du sang, vous en aurez les yeux mouillés. e
J’ai tant exécré ce triste paysage, e
Que j’ai désiré faire un long voyage ; e
M’aventurer, seul, sans retour
Me semblait être mon unique amour. e
Avec bonne humeur, j’ai traversé les rivières, e
Les champs, les bois et les vastes pelouses, e
Sans me repentir de ma demeure la plus chère, e
De cette terre où n’a germé aucune rose. e
Me voici à la cime d’une haute montagne
Où le ciel m’embrassait et les horizons m’accueillaient. e
Au dessous de moi coulait un fleuve près d’une campagne, e
Que j’admirais autant que ce pâle soleil qui s’éloignait. e
Etant libre, je marchais sans relâche, e
M’enfonçant dans les simples rêveries, e
Que mon pauvre cœur si tendre si lâche, e
Laisse s’évanouir à l’âge fleuri. e
Les pas perdus dans l’ombre et les larmes aux yeux, e
Je m’enfonçais tout droit vers une gîte , e
Où je pouvais m’endormir et mourir ainsi que mes aïeux, e
Pour oublier que j’étais jeune et bien triste. e