Mon village ! Ta terre n’est plus que le signe de la désolation totale, de la solitude intérieure même si on vit au sein de cette cohue de paysans, de ces gens qui triment dans les vastes champs sous ton ciel flamboyant. Il est bien vrai que l’été brûle tes sentiers, tes demeures et tes enfants jusqu’aux entrailles. Mais cela n’a plus d’importance puisqu’on s’y habitue peu à peu.e
Mon village ! Pourquoi est-ce qu’on t’a isolé de ce monde indifférent dans ce vallon qui ressemble à je ne sais quoi de plus farouche campagne ? Quand la lumière de l’aurore se glisse sur tes toits obscurs, on voit s’en sortir des troupeaux qui soulèvent un nuage de poussière et on entend un remue-ménage partout. Les hommes et les femmes rejoignent leur besogne au milieu de l’aboiement des chiens. Leurs visages n’expriment rien que cette cruauté austère et ce dénuement qui se manifeste dans leurs traits. La terre les a durcis, la misère a dissipé en eux toute imagination possible. De même, l’amour de l’argent et de tout ce qu’on pourrait posséder a dominé leur instinct. Pour un morceau de terre, ils recourent aux tribunaux pour résoudre leur litige, quoique cette obstination exige toute leur fortune ou plutôt leur vie. Pourtant, au fond de cette rude nature, ils ont des coutumes particulières qui témoignent de la chaleur humaine.e
Le soleil déverse toute sa chaleur, et se concentre ainsi dans les chaumières si mornes et si pauvres qu’elles vous donnent l’impression de les exécrer malgré soi. Naturellement, on est enclin à aimer tout ce qui est beau et charmant. Mais, là-bas, on ne se sent pas à l’aise pour rassasier son âme de la beauté que ces immenses horizons décèlent et où le bleu du ciel s’étend avec toute la fraîcheur des matins ou bien des soirs. Le labeur absorbe totalement ces paysans et les laisse dépourvu des contemplations qui font peupler l’imagination des rêves mystérieux, des illusions magnifiques et de vagues aspirations.e
Malheureusement, les champs s’emplissent des êtres dont le regard ne montre que l’amertume et la patience de résister jusqu’au bout, bien que le soleil torride ne cesse de les accabler et de les tracasser. Ils sont là , pourtant, comme des rochers massifs que le flux et le reflux de la mer n’arrivent jamais à ronger. Leur volonté de vivre dépasse ces simples bornes où l’on se croit heureux. En tout cas, ils ne sont pas des monstres ou des héros, mais il s’agit tout simplement des gens qui comprennent ce que le mot « souffrance » comporte de sens, on dirait qu’ils sont voués à un destin mortel et étrange !e
A mon village, il n’y a que les va-nu-pieds qui marchent en haillons et avec nonchalance. Il faut penser aussi à ces moments pénibles du midi, car c’est le silence absolu qui substitue le battement des cœurs et le hurlement des hommes et des bêtes à la fois ; tandis qu’un tourbillon de rayons scintille fortement et embrase ardemment les têtes nues des paysans. Midi, c’est le temps d’alerte !!e