Tolérance politique]
La notion de tolérance est fondamentalement une notion morale, devenue notion politique et juridique. Elle a été théorisée sous cet angle par la philosophie à partir des XVIIe et
XVIIIe siècles, une époque où sévissaient en Europe les guerres civiles dites guerres de religion (c’est-à-dire une époque où la religion était le véhicule de conflits politiques débouchant sur des guerres). Elle a été développée pour y mettre fin, en définissant les règles et conditions auxquelles la diversité des idées, opinions et croyances, pouvaient être supportées et tolérées dans une même société, sans pour autant la mettre en danger en créant des divisions incompatibles. L'auteur de référence pour la théorie de la tolérance est l'anglais
John Locke.
Tolérance sociale ]
La tolérance sociale est la capacité d'acceptation d'une personne ou d'un groupe devant ce qui n'est pas similaire à ses valeurs morales ou les normes établies par la société.
Ce que la tolérance n'est pas ]
On a souvent tendance à assimiler la tolérance à des notions qui se révèlent fondamentalement différentes, bien que proches sur certains points.
L'indifférence]
L'indifférence est de n'éprouver ni plaisir, ni douleur, face à ce que l'on perçoit. Il n'y a aucunement besoin de tolérance face aux choses pour lesquelles on n'éprouve pas d'émotion. Par exemple, une personne pour qui les questions de religion ne sont pas une préoccupation, ne peut être qualifiée de tolérante ou intolérante en matière religieuse.
La soumission]
La soumission est l'acceptation sous la contrainte. Pour qu'il y ait tolérance, il faut qu'il y ait choix délibéré. On ne peut être tolérant qu'avec ce qu'on a le pouvoir (d'essayer) d'empêcher.
L'indulgence ]
L'indulgence va plus loin que la tolérance, en cela qu'elle est une disposition à la bonté, à la clémence, une facilité à pardonner, alors que la tolérance peut être condescendante.
La permissivité ]
La permissivité, tout comme l'indulgence, va plus loin que la tolérance. Elle se distingue de l'indulgence par l'absence de référence aux sentiments. Elle se définit comme une propension à permettre sans condition.
Le respect ]
Le respect suppose que l'on comprenne et partage les valeurs d'une personne ou d'une idée dont l'autorité ou la valeur agit sur nous. Par le respect, nous jugeons favorablement quelque chose ou quelqu'un ; en revanche, par la tolérance, nous essayons de supporter quelque chose ou quelqu'un indépendamment du jugement que nous lui portons : nous pouvons haïr ce que nous tolérons, accepter à contre cœur. La sensation de se sentir respecté ne peut que mener à notre épanouissement. Le respect s'adresse à des personnes physiques - voire à des institutions ou une mémoire commune. Mais n'y a-t-il pas un glissement sémantique discutable, lorsqu'on demande de "respecter des opinions" ou des "croyances", c'est-à-dire des personnes morales et des représentations ? La philosophie n'est-elle pas, entre autres, cette exigence d'irrespect envers les opinions, pour les mettre en discussion ? La tolérance impliquerait alors de tolérer cette forme d'irrespect (envers les opinions, religions et croyances), comme une composante nécessaire de l'espace public en démocratie.
Tolérance et idéal]
La tolérance est généralement considérée comme une
vertu, car elle tend à éviter les conflits. Ainsi
Kofi Annan disait-il que « La tolérance est une vertu qui rend la paix possible. »
Dans certaines philosophies, comme la
philosophie bouddhique, la tolérance est le premier pas vers l'
équanimité, c'est-à-dire l'acceptation sans effort. La tolérance envers ce qui nous agresse, est un exercice à pratiquer sur soi-même.
« La tolérance est un exercice et une conquête sur soi. »
— Exercice du bonheur, Albert Memmi
« L'esprit de tolérance est l'art d'être heureux en compagnie des autres. »
— Les Poings sur les i, Pauline Vaillancourt
Tolérance et réprobation ]
Cependant, on considère généralement qu'il n'y a pas de tolérance sans agression, c'est-à-dire qu'on ne peut être tolérant que face à ce qui nous dérange (c'est-à-dire ce avec quoi on n'est pas en accord) mais qu'on accepte par respect de l'individu (l'
humanisme) ou pour la défense d'un idéal de liberté (le
libéralisme).
La tolérance par respect de l'individu pourrait se formuler comme:
« Je ne suis pas d'accord avec toi, mais je te laisse faire par respect des différences. »
La tolérance pour la défense d'un idéal de liberté, est parfaitement illustrée par une célèbre citation attribuée de façon
apocryphe à
Voltaire [2]:
« Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire. »
Cela semble un résumé de ce que disait Voltaire sur Helvétius à l'article
Homme des
Questions sur l'Encyclopédie :
« J’aimais l’auteur du livre De l’Esprit. Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes. »
La tolérance est soit un choix dicté par une conviction, soit un choix condescendant. Dans tous les cas, pour qu'il y ait tolérance, il faut qu'il y ait choix délibéré. On ne peut être tolérant qu'avec ce qu'on a le pouvoir d'essayer d'empêcher. L'acceptation sous la contrainte est la
soumission.
Depuis les
années 1950, la tolérance est généralement définie comme un état d'esprit d'ouverture à l'autre. Il s'agit d'admettre des manières de penser et d'agir différentes de celles que l'on a soi-même.
Il est d'autant plus difficile de comprendre un comportement (et éventuellement de l'accepter) qu'on n'en connaît pas les origines. C'est pourquoi l'
éducation est souvent considérée comme un vecteur de tolérance.
Ainsi
Helen Keller disait « Le meilleur aboutissement de l'éducation est la tolérance. »
Tolérance civile ]
Les mentalités évoluant — sur certains sujets — plus vite que les lois, il existe un décalage entre la morale sociale (celle qu'un groupe légitime) et les lois civiques. Ainsi, certaines dispositions de la loi peuvent, à un moment donné, être reconnues inadaptées et, de ce fait, n'être appliquées que partiellement ou plus du tout, faute de moyens.
On peut citer en exemple :
- plus proche de nous, la non application des lois sur la consommation de drogues considérées à tort ou à raison comme « douces », ce qui est supporter ce qu'on ne peut contrôler.
Les modalités d'application de la loi qui devraient dépendre des décrets qui les promulguent, dépendent en fait souvent de la disponibilité du pouvoir à les faire appliquer. Par exemple, les décrets Jean Zay (
1936) prévoient l'interdiction du port de signes religieux et politiques dans les écoles françaises, pourtant, la non application de ces décrets a conduit les autorités à soumettre une nouvelle loi sur le même sujet en
2004.
Ainsi
Georges Clemenceau disait dans
Au soir de la pensée, « Toute tolérance devient à la longue un droit acquis. »
La tolérance selon Locke ]
Historiquement, la première notion de tolérance est celle défendue par
John Locke dans sa
Lettre sur la tolérance, qui est définie par la formule « cessez de combattre ce qu'on ne peut changer ».
D'un point de vue social, il s'agit de supporter ce qui est contraire à la
morale (ou à l'
éthique) du groupe posée comme un absolu. Il s'agit principalement de réaction face à un comportement que l'on juge mauvais, mais que l'on accepte parce qu'on ne peut faire autrement. C'est donc à partir d'une glorification de la souffrance que s'établit une conception éthique de la tolérance.
Le respect de l'individu et de ses idées n'intervient qu'à partir du moment où l'on ne peut convoquer la puissance publique contre sa façon de faire et ce respect globalement n'apparaît dans le droit qu'à partir de 1948 et de la
déclaration universelle des droits de l'homme.
Dans ce cadre, la tolérance n'est pas une valeur individuelle, mais un dynamisme évoluant entre la réception de la règle et l'aptitude du pouvoir à la faire respecter.
Cette notion de tolérance dépend donc de la façon dont le pouvoir conçoit sa relation à la
vérité et des moyens qu'il est disposé à investir pour faire valoir cette conception.
Exemple]
Les débats contemporains sur l'
homo***ualité. Tant que la puissance publique considéra les pratiques de cette minorité comme un
délit, il était facile de menacer un homo***uel de la perte de son travail ou d'organiser des
chasses aux homo***uels qui demeuraient impunies
[réf. nécessaire]. Depuis que le délit a disparu du
Code pénal de la plupart des pays démocratiques,
on respecte les individus tout en manifestant contre les projets visant à leur accorder, suivant les points de vue, soit la pleine jouissance des
Droits de l'homme, soit une symétrie absolue avec l'hétéro***ualité.
La tolérance selon John Rawls ]
Le
philosophe américain John Rawls, dans son ouvrage de philosophie morale
A Theory of Justice (
Une Théorie de la justice), établit que la tolérance est une vertu nécessaire à l'établissement d'une société juste. Mais il pose la question « Doit-on tolérer les intolérants ? ». Rawls y répond positivement, indiquant que de ne pas les tolérer serait intolérant et serait donc une injustice. Par contre il établit qu'une société tolérante a le droit, et le devoir, de se protéger et que ceci impose une limite à la tolérance : une société n'a aucune obligation de tolérer des actes ou des membres voués à son extermination.
Discussion ]
La « Théorie de justice » fait référence à « une société juste », dont les membres seraient pour la plupart tolérants, et capable de tolérer les intolérants. On peut légitimement lui opposer « une société tolérante », ce qui implique pour chacun de ses membres, la pratique de la « tolérance mutuelle », et exclut la permissivité et l'intolérable.
Tolérance religieuse ]
La
tolérance religieuse est une attitude adoptée devant des confessions de foi différentes ou devant des manifestations publiques de religions différentes. Exemple, l'édit de Tolérance de
1787 (
France) autorise la construction de lieux de cultes pour les protestants à condition que leur clocher soit moins haut que celui des églises catholiques.
« Le mot, en son sens moderne, vaut [...] comme rejet ou condamnation ; la secte, c'est l'Église de l'autre. »
— André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris : PUF, 2001.
Il faut différencier trois domaines de tolérance religieuse. Tout d'abord, la tolérance inscrite dans les textes sacrés auxquels se réfère la religion. Ensuite, l'interprétation qui en a été faite par les autorités religieuses. Enfin, la tolérance du fidèle, qui, bien que guidée par sa foi, n'en reste pas moins individuelle.
Bien que chaque religion ait évolué plus ou moins indépendamment, on constate trois grandes tendances liées à trois grandes périodes de l'Histoire.
Le polythéisme antique ]
Dans le polythéisme antique (avant l'ère chrétienne), il est fréquent de constater des échanges de divinités d'un
panthéon à l'autre, notamment en
Europe du Nord et au
Proche-Orient. On peut citer par exemple le cas de la civilisation de l'
Égypte antique, pour laquelle la tolérance religieuse était un pilier (sauf pendant la période d'
Akhénaton) et dont le pays a abrité, à de nombreuses époques, des temples de divinités étrangères (
Baal,
Astarté, etc.). De même pour
Rome avec l'adoption de la déesse
Isis.
On ne peut parler de
tolérance dans le cas du panthéon romain dont le
culte se confond avec celui de la ville, puis de l'empereur à partir d'
Auguste.
- D'une part la religion n'est pas conçue comme une expression de la relation d'un individu à une divinité, mais comme la relation d'un individu à la société romaine où il doit s'intégrer, ou encore comme la relation d'une ville à son destin (Louis Gernet, la religion romaine, Albin Michel). Les Vieux Romains ne connaissent qu'une religio : la leur ; mais, par la suite, la culture romaine s'hellénise et s'ouvre à des cultes très différents du mos maiorum (la coutume) ; les autres cultes, s'ils ne peuvent être captés (procédure de captatio) sont considérés comme superstitio. À l'époque des apologistes, Celse témoigne qu'il ne s'agit pas, en ce qui concerne le christianisme, de tolérance comme ouverture aux valeurs d'autrui, mais de tolérance à ce qui ne détruit pas l'ordre public. Seul le judaïsme bénéficie du statut de religio licita à côté de la religion nationale.
- l'importation des cultes orientaux (Isis, Mithra, etc.) par les soldats romains ayant participé aux batailles orientales, représente au contraire une modification du sentiment religieux. Il ne s'agit pas d'échange de divinités mais de se considérer comme dévot d'Isis ce qui n'empêche pas la participation aux cultes urbains. En quelque sorte, le culte d'Isis se substitue aux divinités familiales chez le soldat errant.
Ce n'est qu'en
311 qu'un
édit de tolérance, l'
édit de Milan décrète la liberté de tous les cultes.
Le monothéisme]
Avec le développement du monothéisme (judaïque, chrétien, puis islamique) apparaît la notion d'exclusivité du divin.
- Judaïsme : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face. », (Exode 20,3).
- Christianisme : « Je crois en Dieu, le Père Tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre. » (Symbole des Apôtres, IIe siècle)
- Catholicisme : en 392 Ambroise de Milan obtient de Théodose II un édit autorisant la mise à mort des « juifs, des païens, et des hérétiques ».
- Protestantisme : « Dirons-nous qu'il faut permettre la liberté de conscience ? Pas le moins du monde, s'il s'agit de la liberté d'adorer Dieu chacun à sa guise. C'est un dogme diabolique. », Théodore de Bèze, 1570. En cela Théodore de Bèze est un excellent témoin des 150 premières années du protestantisme qui furent tout aussi autoritaires que le catholicisme. Toutefois le tournant fut pris avec John Locke et sa lettre sur la tolérance intervenant dans le conflit entre le courant calviniste et dogmatique et les Remontrants.
- Islam : « Il n'est d'autre dieu qu'Allah » mais aussi pas de contrainte en religion (Coran 256/2)
On comprend donc que la tolérance n'est pas une vertu intrinsèque de telle ou telle religion mais dépend du choix de ses hommes et de ses hiérarchies comme de leur capacité à s'associer à un pouvoir.
Le dialogue interreligieux ]
La tolérance n'a donc pas
de tout temps existé. Déjà
Platon, d'après une rumeur colportée par
Diogène Laërce, aurait voulu brûler en place publique les œuvres de
Démocrite. L'ouverture de la culture grecque aux cultures extérieures et le dialogue continuel des philosophes entre eux ont généré un climat intellectuel tendu mais propice aux échanges et à la réflexion. C'est la
philosophie des Lumières qui transforme ce qui semblait une faiblesse chez
Augustin d'Hippone, théoricien de la persécution légitime, tel que le présentait
Bossuet.
Le symbole du tournant est cette phrase de
Voltaire : « je n'aime pas vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ». Il se constitue alors un mouvement intellectuel luttant contre les intolérances du christianisme : « De toutes les religions, la chrétienne est sans doute celle qui doit inspirer le plus de tolérance, quoique jusqu'ici les chrétiens aient été les plus intolérants de tous les hommes. » (
Dictionnaire philosophique, article « Tolérance » 7).
Le développement des
Sciences religieuses dans la philosophie allemande du XIXe siècle siècle a permis la mise en œuvre d'un savoir laïc sur le phénomène religieux qui est perçu comme une menace par les religions. Tel fut l'enjeu de la
crise moderniste, tel est encore l'enjeu de bien des conflits ayant à voir avec le phénomène religieux.
Les moyens de transport et de communication du
XIXe siècle et du
XXe siècle ont permis des échanges culturels qui ne facilitent pas autant le dialogue interreligieux. La démocratisation du voyage se fait par la méthode du
voyage organisé qui permet rarement la rencontre de l'autochtone. En revanche, les échanges d'étudiants, jusqu'ici réservés aux classes supérieures des pays développés, pourraient améliorer la situation par des financement européens, tel le programme ERASME.
Du fait de la vocation de la plupart des religions à n'enseigner que ce qu'elles
croient vrai désignant par toutes variantes du
faux tout ce qu'elles n'ont pas exprimé elles-mêmes (méthode des
épicycles coperniciens décrite pour la première fois dans le domaine religieux par John Hick dans
God Has Many Names (1988) et popularisé par depuis par Régis Debray dans
Le Feu sacré : Fonction du religieux, Fayard, 2003), on ne peut dire que la culture religieuse de l'Européen moyen ait grandement avancé.
La réflexion sur la
vérité religieuse, pourtant bien amorcée par
Michel de Certeau s.j. dans
L'invention du quotidien, t. II : manières de croire n'a été reprise par aucune religion. Le
croyant ignore donc le sacré des autres et exige des mêmes autres la révérence en ce que lui croit, révérence qu'il n'est pas prêt à manifester à l'égard de ses interlocuteurs.