Chaque matin à l'aube,les mêmes bruits se répétaient: des toussotements étouffés...des pas qui traînent...des portes qui grincent...de l'eau qui coule...des chuchotements furtifs et le poulailler qui s'agite fébrilement pour avoir été réveillé avant l'heure.
C'était mon père ,qui se levait toujours bien avant l'appel du muezzin,pour entamer les préparatifs des ablutions sacrées.
Dans mon lit,je me faisais toute petite,recroquevillée sur moi même dans l'espoir de savourer les derniers moments de sommeil.Des moments que je savais éphémères,car mon père finissait en fin de compte par faire regner le réveil paniquant,dans toute la maison
Ma mère commençait toujours par allumer le poêle dont les cendres restaient tièdes du feu de la veille.
Une fumée âcre et piquante se répandait dans l'atmosphère et je savais que plus tard,elle serait chassée par l'odeur alléchante du m'semen et du thé à la menthe que seule ma mère savait si bien faire...ce délice allait compenser à notre réveil matinal brutal.
Après une longue et dure journée passée sur les bancs de l'école,on revenait le soir,mes frères et moi faire nos devoirs près du poêle qui continuait de faire chauffer la maison.
Nous devions finir notre travail et souper avant l'arrivée de notre père,qui aimait prendre place auprès de nous,pour s'élancer dans d'interminables histoires de prophètes.Il narrait dans une extase inouie,qu'on pouvait sentir la passion d'Adam ,le déluge de Noé,le grand sacrifice d'Abraham,l'angoisse de Youness dans les entrailles du gros poisson,la souffrance du crucifié,la chasteté de Youssef et la haute solitude de Mohamed,dans sa grotte d'ermite fuyant les assauts des mécréants.
Maintes fois ,mon père oubliait et nous racontait la même histoire à plusieurs reprises...mais nul de nous n'osait l'interrompre pour lui faire la remarque qu'il se répétait...alors nous continuions à l'écouter sans broncher mot,les paupières alourdies par le sommeil et la chaleur du poêle.
Et pour nous rappeller à l'ordre,il disait toujours d'une voix tonitruante:" où en suis-je arrivé..."
Et c'était la panique générale...Il fallait absolument lui répondre et chacun de nous lui sortait une bribe d'histoire differente de celle qu'il était entrain de nous raconter.
Le regard pensif,il nous regardait l'un après l'autre ,esquissait un sourire et se levait en nous souhaitant bonne nuit.
en hommage à mon père qui n'est plus de ce monde et dont la présence et ses histoires de prophètes me manquent tant...