Les apports de l’ordinateur en rééducation - ãäÊÏíÇÊ ÏÝÇÊÑ ÇáÊÑÈæíÉ ÇáÊÚáíãíÉ ÇáãÛÑÈíÉ
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ÊÇÑíÎ ÇáÊÓÌíá: 12 - 9 - 2008
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ÇÝÊÑÇÖí Les apports de l’ordinateur en rééducation

Dossier
Les apports de l’ordinateur en rééducation
Hélène Garrel
Le présent article est basé sur un travail effectué par Hélène Garrel, rééducatrice. Depuis cinq ans, elle inclut l’ordinateur dans son offre de matériel auprès des enfants qu’elle prend en charge. Les enfants et les adolescents qu’elle prend en charge ont en commun des difficultés scolaires, liées de fait à des problématiques très diverses en nature comme en gravité : inhibition intellectuelle, déficience, instabilité, immaturité psychoaffective, difficultés identitaires... Certains présentent des pathologies sévères, incluant parfois des atteintes neurologiques avérées. La pratique est la rééducation scolaire, dont l’objectif central est d’amener les enfants et adolescents pris en charge à l’efficience scolaire, en les aidant à surmonter les entraves psychiques à leur rapport à l’école et aux savoirs.
2. L’ordinateur se trouve dans la salle de rééducation, parmi les supports classiques de cette pratique, qui vont du matériel de motricité aux jeux de société, en passant par les instruments classiques de l’expression graphique, plastique et musicale. Le travail sur l’ordinateur est toujours strictement subordonné au choix de l’enfant. La gestion du rythme et de la durée d’utilisation de l’ordinateur, comme le choix parmi les logiciels installés, sont laissés à l’initiative de l’enfant, dans le cadre horaire des séances instituées. Nous avons constaté que le travail rééducatif, lorsque l’ordinateur est choisi comme support exclusif ou principal, se déroule selon un schéma constant : une brève phase d’appropriation de la machine, une phase de travail thérapeutique, une dernière phase de séparation et de désacralisation de l’ordinateur.
Le support informatique

Une fenêtre sur la culture

3. L’ordinateur concrétise la présence de la culture commune dans la relation rééducative. C’est une machine hautement pétrie d’humanité. Techniquement, l’ordinateur est une matérialisation supérieure de notre culture mathématique, scientifique et technologique. Fonctionnellement, il vise à la fois à reproduire et à servir l’activité même de la pensée. Enfin, l’offre logicielle protéiforme, aussi bien productive que ludique, constitue un véritable concentré de l’intelligence humaine, un micro-monde pétri de toute notre culture, de toutes nos façons de penser, de travailler, de jouer et de créer, ce qui parachève l’humanisation de cette machine.
4. L’ordinateur repositionne ainsi clairement la rééducation comme un des lieux de la confrontation de l’enfant aux exigences de la culture commune, parmi d’autres et quand d’autres ont échoué. Concrètement, l’ordinateur lui-même, comme tout l’univers logiciel auquel il prête vie, impose le respect de multiples procédures. Il est toujours surprenant de voir des enfants qui manifestent de grandes difficultés à respecter les règles, tant dans la vie sociale que dans les opérations cognitives, se plier très vite et très facilement aux « lois » de l’ordinateur. L’ordinateur joue ici, très précisément, un rôle de médiateur culturel. Univers culturel hautement réglé, mais porté par une machine, il permet à l’enfant d’expérimenter l’obéissance à la loi commune sans devoir en passer par l’obéissance à une personne.
5. L’ordinateur facilite le travail psychique en rendant aisément accessibles les matériaux culturels les plus variés, tout en les rendant immédiatement manipulables. Devereux a montré la place de la culture dans notre travail psychique. Nous puisons dans notre culture les matériaux de nos rêves et de nos symptômes, par un travail constant, conscient ou inconscient, d’appropriation et de réélaboration. Winnicott, dans ses dernières théorisations sur l’aire transitionnelle, y incluait jusqu’aux activités culturelles supérieures. Le travail d’élaboration psychique des matériaux culturels passe habituellement par une longue phase préalable d’imprégnation culturelle. L’ordinateur modifie cette succession classique entre le temps de l’apprentissage et le temps de l’utilisation des acquis. Sur ordinateur, tous les matériaux culturels, textes, nombres, images, vidéos, sons, graphiques, objets modélisés en 3D, sont à la fois immédiatement accessibles et immédiatement modifiables. En rééducation, en accélérant les processus d’appropriation culturelle, l’ordinateur accélère les processus d’élaboration symbolique.
Une machine à jouer

6. L’ordinateur est devenu une puissante machine à jouer. Les thérapeutes d’enfants (rééducateurs, orthophonistes, psycho-motriciens, psychothérapeutes, etc.) utilisent le plus souvent des médiations ludiques pour impulser et soutenir la production symbolique de leurs jeunes patients. Ils orientent en partie leurs propositions en fonction de ce qu’ils connaissent des goûts spontanés des enfants en matière de jeux. Ils se réfèrent à ce qu’ils pensent être leur culture ludique. Or, si l’on additionne les consoles de jeux aux ordinateurs, c’est désormais la majorité des enfants qui pratiquent des jeux numériques en milieu familial. La culture ludique se numérise, en intégrant d’ailleurs la plupart des jeux traditionnels, des plus moteurs aux plus cérébraux. À terme, on imagine mal un thérapeute d’enfants totalement coupé de la culture ludique numérisée des enfants d’aujourd’hui.
7. Il ne s’agit pas seulement de suivre les modes enfantines, ni de seulement s’aligner sur le vaste mouvement d’informatisation qui travaille tous les secteurs de nos sociétés. L’ordinateur élargit et modifie les possibilités d’implication des enfants dans des activités ludiques psychiquement productives.
· Il procure à l’enfant des partenaires numériques, autorisant ainsi le rééducateur à se cantonner au besoin dans une position d’observateur sans plonger l’enfant dans des vécus abandonniques.
· L’enfant peut aisément contrôler le degré de difficulté des jeux, ou le niveau de ses adversaires numériques. Cela aide des enfants en difficulté à s’essayer à ces jeux sans danger narcissique, tout en leur permettant de graduer souplement leur mise à l’épreuve.
· Il propose à l’enfant des partenaires humains virtuels, grâce au tableau des meilleurs scores présent dans la quasi totalité des jeux, réintroduisant ainsi la problématique de la confrontation à l’autre au cœur même du cadre rééducatif, sans entamer pour autant sa mise à distance, puisque ces autres joueurs ne sont pas connus de l’enfant.
· Tout en reprenant l’ensemble des jeux traditionnels, l’ordinateur autorise de nouveaux types de jeux, des jeux dynamiques, qui, en intégrant en eux-mêmes la temporalité, sont beaucoup plus proches du processus même de la vie psychique.
· Enfin, l’ordinateur offre à l’enfant, non seulement la mémoire, mais la maîtrise temporelle de ses jeux. Grâce aux possibilités de sauvegardes multiples, l’enfant peut librement délaisser une partie en cours pour la reprendre plus tard, tout comme il peut revenir à sa guise en arrière dans une partie dès lors qu’il en a sauvegardé un état antérieur.
L’étayage de la pensée

8. Avant de devenir une machine ludique, l’ordinateur a d’abord été, et demeure, un instrument de travail. Il offre des outils qui facilitent considérablement les productions, graphiques ou textuelles pour ce qui nous concerne. Son avantage le plus évident, celui qui a le plus contribué à l’imposer en milieu professionnel, est sa mémoire dynamique. Non seulement il peut conserver la trace de toute production, mais il en garde une trace mobilisable, qu’il est toujours possible de réélaborer aisément et indéfiniment. Il peut aussi garder la trace des états successifs d’une même production, autorisant là encore tous les retours en arrière, tous les remords, tous les rabâchages. Puisque nous traitons nos difficultés personnelles en les ruminant longuement, à satiété, cette souplesse rapproche considérablement le travail sur ordinateur des conditions du travail psychique interne.
9. En rééducation, le support informatique réalise un étayage dynamique de l’activité mentale, efficace aussi bien pour des enfants déficients mentaux que pour des enfants dont les difficultés affectives paralysent l’activité mentale. Il autorise des enfants qui ne parviennent pas à effectuer dans leur tête une activité mentale efficace à l’effectuer sur l’écran. Dans les productions sur ordinateur, l’enfant agit, pousse des boutons, frappe des touches, bouge la souris, introduit des CD. Tout acte de pensée y est mis en scène sur l’écran, par le biais de ces manipulations. C’est l’écran qui représente. C’est lui qui permet à la pensée de naître en lui permettant de s’effectuer d’abord « à l’extérieur ».
10. L’écran informatique n’est pas un support projectif neutre, assimilable à un tableau noir, ou à une feuille blanche. Les premiers actes sur écran des enfants les plus démunis intellectuellement ne sont en rien des projections sur écran de symbolisations internes préalables. Ils sont au contraire largement aléatoires ou chaotiques. C’est la réactivité ordonnée et profondément cultivée de l’écran qui va progressivement leur donner forme. C’est elle qui permet à l’enfant, à travers toutes ses errances interactives, d’ordonner peu à peu à son chaos psychique. Pour ces enfants, l’ordinateur est, littéralement, une machine à symboliser. L’ordinateur constitue un organisateur psychique effectif. L’enfant construit ou reconstruit son propre « appareil à penser les pensées » en interagissant avec cet appareil à penser, avec l’organisation dynamique du système comme avec celle de chacun des logiciels utilisés. Il structure ou répare ainsi son enveloppe psychique. La fonction centrale du rééducateur est ici, après avoir d’abord étayé l’entrée de l’enfant dans l’interaction avec la machine, de travailler à la distanciation de l’enfant vis-à-vis de la machine, de façon à ce qu’il intériorise l’appareillage à symboliser qu’il a pu construire avec elle.
11. L’ordinateur induit une accélération de la vie psychique. Sa réactivité instantanée, tout du moins avec des machines suffisamment puissantes pour les tâches demandées, agit en retour sur l’enfant, dont elle accélère ainsi l’activité mentale. Il s’établit parfois, en particulier avec des enfants considérés comme instables, une sorte de course à la vivacité entre l’enfant et la machine, qui peut durer jusqu’à ce que l’enfant « gagne » sur la machine en bloquant le système. Dans tous les cas, cette accélération psychique abrège considérablement le temps de la rééducation proprement dite. Encore faut-il que l’enfant supporte une telle accélération. Certains enfants abandonnent très vite le support informatique, et n’y reviennent jamais, précisément parce qu’ils ne supportent pas cette temporalité accélérée. D’autres alternent, au cours de chaque séance, ou au fil des séances, l’activité sur ordinateur, durant laquelle s’effectuent pour eux les acquisitions psychiques décisives, et des activités plus classiques, durant lesquelles ils semblent se reposer de ces acquisitions, ou les digérer progressivement. Quant à ceux qui sont fidèles au support informatique, ils se fixent très vite sur une activité particulière, longuement reprise, qui pourrait sembler compulsive, si ne s’y tramait clairement l’intégration progressive par l’enfant d’une acquisition centrale pour lui et très tôt présente en filigrane dans l’activité choisie. Cette phase psychiquement productive n’est d’ailleurs pas toujours linéaire. Au contraire, la précipitation du temps induite par la machine plonge la plupart des enfants dans des phases régressives, parfois à forte coloration dépressive, surtout lorsqu’ils présentent une problématique déficitaire forte. Le rééducateur doit prendre garde à réguler suffisamment la confrontation de l’enfant à cet accélérateur psychique, en l’en détournant si besoin est.
Le corps en jeu

12. L’effet le plus intrigant, et parfois le plus spectaculaire, de l’utilisation de l’ordinateur en rééducation, est celui de ses répercussions motrices. Voilà des enfants ou des adolescents qui présentent une symptomatologie à composante psychomotrice souvent très forte, parfois liée à des pathologies neurologiques sérieuses, et qui vont pourtant évoluer favorablement dans ce domaine, sans travailler sur leur symptôme, sans même mouvoir leur corps, ou si peu. C’est que l’ordinateur apporte un véritable cadrage corporel. L’enfant ne peut travailler que s’il est bien positionné par rapport à la machine, et bien ajusté à elle corporellement. Pour manipuler l’ordinateur, pour interagir avec l’écran, les instables doivent se poser, les inhibés doivent sortir de leur carapace. Le corps entier doit s’apaiser et se fixer pour permettre la concentration sur une tâche rendue très stimulante et très « prenante » par la réactivité et l’interactivité de la machine. C’est ce contenant corporel qui permet l’action adaptée, qui fixe et soutient physiquement l’attention de l’enfant. L’ordinateur s’avère ainsi un atout précieux dans la prise en charge d’enfants instables, dont il augmente considérablement les capacités d’activité mentale soutenue, donc la productivité symbolique que présuppose toute thérapie.
13. Les jeux numériques dans lesquels l’enfant pilote un personnage ou un véhicule sur l’écran lui offrent la possibilité d’une expérience très particulière. L’objet virtuel piloté par l’enfant est vécu par lui comme un double de lui-même. Les mouvements de cet objet, pilotés en temps réel, constituent des équivalents d’activités motrices réussies. Cela va au-delà de la simple identification. La relation de l’enfant à l’objet qu’il pilote n’est pas que psychique, elle est d’abord physique. L’objet peut d’ailleurs être très schématique, comme c’est souvent le cas avec des jeux un peu anciens, sans que cela affaiblisse en rien les capacités du joueur à se vivre dans cet objet, à éprouver physiquement ses déplacements, ses chocs ou ses chutes, à ressentir émotionnellement ses angoisses ou ses triomphes. Schéma corporel et image du corps sont pleinement engagés dans ce double. Avec ces jeux, tout enfant devient Zelig. Il va et vient de son corps réel à son corps écran. L’enfant élabore ainsi, en acte, une représentation dynamique et investie de son corps propre, à la condition toutefois qu’il ne se laisse pas totalement absorbé, capté, par ce double. C’est au rééducateur de saisir le glissement toujours possible de ce jeu avec son double, très productif psychiquement pour les enfants dont le rapport au corps est problématique, à cette captation déréalisante, qui nécessite son intervention pour rappeler le cadre rééducatif.
14. Nous avons vu que l’ordinateur facilite et accélère l’activité psychique de l’enfant, souvent jusqu’à l’emballement. Cet emballement psychique provoque un fort mouvement de libération des émotions et des pulsions. Cette mobilisation des affects prolonge l’emballement psychique par un emballement corporel. L’enfant s’anime, crie, s’essouffle, sue, rougit. Mais cette animation reste à certains égards virtuelle. L’enfant est toujours assis sagement devant la machine, ses mouvements effectifs restent limités au maniement de la souris et du clavier. Le corps travaille, et il est travaillé par les affects mobilisés, mais tout ce travail se fait en interne. Contrairement à ce qui se passe dans les thérapies psychomotrices, l’activité émotivo-corporelle est d’emblée internalisée. On est d’emblée dans le psychophysique, dans le psychosomatique. On court-circuite la difficulté classique qu’il y a à dépasser le simple défoulement psychomoteur en le re-psychologisant dans l’après-coup. Cette situation est proche de ce que l’on obtient dans les techniques de relaxation, l’activité sur ordinateur présentant d’ailleurs en elle-même des vertus relaxantes. Mais cette activité peut aussi bien dynamiser que détendre. L’effet psychosomatique induit est donc bien plus général. Le travail sur ordinateur fonctionne comme organisateur émotivo-corporel. Il répare corporellement l’enfant. Le caractère immédiatement interne de l’activation émotivo-corporelle qu’il induit tend en particulier à favoriser la réparation ou le renforcement de l’enveloppe psycho-corporelle. Par contre, il ne semble pas pouvoir construire cette enveloppe, qu’il présupposerait plutôt. Il est inadéquat également pour les enfants, en principe très jeunes, qui restent « sensori-moteurs », chez lesquels la symbolisation ne s’est pas encore a minima dégagée de l’action effective.
Spécificités rééducatives

Un espace à tiroirs

15Comparé à d’autres supports, l’ordinateur organise l’espace de façon particulière, et pour l’enfant ou l’adolescent qui va l’utiliser, et pour le rééducateur. Il introduit des espaces différenciés dans la salle de rééducation et impose des positionnements tout à fait spécifiques des partenaires de la relation rééducative.
16. Lorsqu’il s’installe devant l’ordinateur, l’enfant est d’emblée à bonne distance. Les nécessités de l’accommodation visuelle l’obligent à laisser un écart entre lui et l’objet, toujours le même. Dès lors, face à lui, l’écran inscrira, immédiatement et réactivement, les résultats de ses manipulations, ajustées comme erronées, l’entraînant indéfiniment dans des rétroactions en boucle. Il s’instaure ainsi, sous le regard de l’enfant, entre ses mains et l’écran plan de l’ordinateur, un premier espace, structuré et interactif, voué à la production symbolique, un espace pour penser. Cet équivalent très particulier de l’espace mental interne présente l’avantage de n’être pas clos. Le rééducateur peut à sa convenance s’y glisser, pour impulser, ou étayer, ou commenter, voire induire, les actes de pensée de l’enfant.
17. L’écran informatique ne constitue pas seulement une surface plane. Il ouvre sur un monde « dans » l’ordinateur, un univers symbolique complexe et complet dans lequel peuvent se déployer les multiples activités de son utilisateur, ou de ses co-utilisateurs. On s’y déplace, on y manipule des objets, on y joue, on y dessine, on y écrit. Ce monde possède une profondeur qui en fait l’équivalent de la salle de rééducation, ou de tout autre lieu thérapeutique. C’est sur cette scène, réelle en même temps qu’imaginaire, rigoureusement délimitée par les bords de l’écran, que viennent se jouer sans danger excessif les conflits psychiques. En ce sens, l’ordinateur offre un formidable espace transitionnel, indéfiniment ouvert en lui-même, mais solidement contenu et protégé par l’écran.
18. Autour de cet espace interne à l’ordinateur, un autre espace se déploie,comme une bulle, celui des relations entre l’enfant et le rééducateur autour de l’ordinateur. La relation entre le rééducateur, l’enfant et l’ordinateur s’ordonne à travers cet emboîtement d’espaces. L’espace de l’écran est l’espace du jeu, l’espace de la production symbolique. Cette bulle autour de l’écran est l’espace relationnel et rééducatif, l’espace qui institue comme rééducativecette activité symboligène. Le jeu n’est pas en soi rééducatif. Si l’enfant s’y noie, et plus encore si le rééducateur s’y noie, on glisse de la rééducation au simple défoulement sans lendemain. L’utilisation de l’ordinateur résout très simplement cette question de la distanciation par rapport aux productions symboliques, ludiques en particulier. Avec lui, chacun peut, en permanence, passer de l’espace ludique de l’écran à l’espace méta-ludique de la situation rééducative. Cette organisation spécifique induite par l’ordinateur autorise un jeu souple entre l’implication et la distanciation, aussi bien pour l’enfant que pour le rééducateur. L’implication du rééducateur dans les activités sur écran ne met pas en danger le cadre rééducatif, puisque celui-ci n’est pas dans l’écran, mais dans l’espace autour de lui.
19. Enfin, la bulle relationnelle autour de l’écran s’insère dans un autre espace, la salle de rééducation. C’est l’espace rééducatif initial, celui dans lequel s’est instaurée la relation duelle entre l’enfant et le rééducateur, celui aussi dans lequel l’enfant a choisi de médiatiser cette relation par l’ordinateur. Ce choix a pour effet de dédoubler mécaniquement l’espace rééducatif, entre un espace rééducatif actif autour de l’ordinateur, et un espace rééducatif global qui encadre le précédent. L’espace rééducatif global est certes mis en sourdine par l’activation de l’espace rééducatif informatisé, mais il est susceptible d’être réactivé à tout moment, tant par l’enfant que par le rééducateur. Si ce qui émerge dans la bulle relationnelle autour de l’ordinateur pose problème à l’un ou l’autre des protagonistes, il est toujours loisible à chacun de revenir dans cet espace rééducatif originaire.
20. Il arrive, qu’au contraire, le choix initial de l’enfant de travailler sur l’ordinateur constitue une fuite de la relation au rééducateur, parfois clairement signifiée. C’est alors à ce dernier de se glisser dans cet espace pour penser que l’ordinateur offre en lui-même à l’enfant pour y introduire la dimension rééducative, ce qui est bien plus facile qu’avec tout autre support. En ce cas, c’est la bulle relationnelle autour de l’ordinateur qui constitue l’espace rééducatif initial. L’introduction de l’ordinateur dans un espace rééducatif offre ainsi la possibilité d’introduire en douceur la dimension rééducative dans cet espace, en limitant les périodes, parfois longues et éprouvantes, de blocage défensif de l’enfant en début de prise en charge.
Une réorganisation de la relation rééducative

21. L’ordinateur impose un positionnement spécifique des personnes. Habituellement, le rééducateur et l’enfant sont face à face. L’éventuel support est situé entre eux, et il inscrit entre eux, au cœur de leur relation, la problématique de l’enfant. Ici, c’est l’enfant et l’ordinateur qui sont face à face. Le rééducateur et l’enfant sont côte à côte. Le problème de l’enfant est posé là, sur l’écran, exposé aux regards croisés de l’enfant et du rééducateur, et non interposé au centre de leur relation. Ainsi, l’ordinateur modifie le cadre relationnel de la rééducation. Plus qu’un simple support, c’est un partenaire dans la relation rééducative. C’est un organisateur relationnel qui impose d’emblée une triangulation de la relation rééducative.
22. Nombre d’enfants que nous prenons en charge restent pris, à des degrés divers, dans des relations symbiotiques avec leur mère. Cette problématique se traduit bien entendu très souvent par des perturbations de l’accès au langage, qui vont du mutisme à diverses formes de restrictions graves de la communication orale, généralement très invalidantes en milieu scolaire. Du fait de la triangulation relationnelle qu’il impose d’emblée, l’ordinateur favorise l’accès à la communication orale. Cet accès est clairement médiatisé par la machine. Souvent, l’enfant sort de son silence pour s’adresser à la machine, soit comme telle, soit aux objets sur écran avec lesquels il interagit, ou auxquels il s’identifie. C’est alors au rééducateur de s’introduire dans cette conversation virtuelle entre l’enfant et la machine, pour l’amener à investir la communication orale réelle. C’est à lui de faire tiers, de médiatiser la relation entre l’enfant et la machine.
23. Alors qu’avec d’autres supports la distance peut être difficile à trouver entre l’enfant et le rééducateur, l’ordinateur place tout de suite le rééducateur dans une situation d’accompagnement de l’enfant acteur. Et celui-ci a toute liberté pour moduler sa distance au rééducateur, tout comme le rééducateur peut souplement moduler sa distanciation par rapport à l’enfant et à ses activités. La distance et les positionnements imposés par le dispositif écran/clavier induisent constamment un jeu sur la distance physique, psychique et relationnelle entre l’enfant et le rééducateur. Ce jeu facilite considérablement l’autonomisation de l’enfant par rapport à la situation rééducative, accélérant ainsi le processus rééducatif dans son ensemble.
24. L'interaction de l’enfant avec l’ordinateur libère le rééducateur d’un certain nombre de tâches, notamment celle de la mise à distance de l’enfant, ainsi que celle de son cadrage physique. Elle autorise par contrecoup des modalités fortes d’implication du rééducateur dans les activités de l’enfant. C’est en particulier ce qui se produit lorsque l’enfant et le rééducateur jouent ensemble contre l’ordinateur. Le rééducateur peut faire miroir pour l’enfant, étayer ses actions et ses émotions, théâtralement si besoin est. L’enfant mal assuré peut ainsi adosser ses élaborations psychiques sur une identification soutenue par le rééducateur. Dangereux avec d’autres supports, le caractère rééducatif de cette situation reste ici garanti quasi mécaniquement par le « cadre du cadre », à savoir par l’inscription globale de cette co-activité sur l’écran dans un lieu rééducatif.
Un effet de cadre

25. L’ordinateur matérialise une aire transitionnelle enrobante dans laquelle l’enfant peut se mettre en scène sans danger d’éclatement ni d’intrusion. Comme tous les écrans lumineux produits par les technologies modernes, il possède un fort pouvoir enveloppant. L’écran informatique cadre très matériellement et très simplement l’espace ludique. La délimitation de l’aire du jeu est bien plus rigoureuse avec l’ordinateur qu’avec tout autre médium. Surtout, cette délimitation est strictement impliquée par le support choisi, sans que le rééducateur ait à intervenir en quoi que ce soit sur ce point.
26. L’enfant face à l’écran n’est pas pour autant coupé du reste du monde. Il suffit que son attention sorte du cadre strict de l’écran, ou soit appelée hors de lui, pour qu’il se confronte au lieu rééducatif global. Ce cadre rééducatif global est alors d’autant plus consistant qu’il n’a en rien été entamé ou contaminé par un jeu resté enclos dans la fenêtre informatique. L’espace virtuel de l’écran ne recoupe guère l’espace hors de lui. Ces espaces s’emboîtent sans se chevaucher. Dans notre pratique, cette différenciation est renforcée par le fait que nous imposons rituellement d’allumer ou d’éteindre la machine, chaque fois que l’enfant choisit d’entrer dans ce micro-monde ou d’en sortir. L’espace rééducatif global constitue ainsi un cadre du cadre, qui demeure intact quoi qu’il se passe dans le cadre de l’écran. C’est pourquoi, en assurant la délimitation rigoureuse de l’aire du jeu, l’ordinateur facilite le maintien du cadre rééducatif global, et tous les allers et retours nécessaires de l’un à l’autre, structurés ou occasionnels.
27. L’écran informatique opère une rupture radicale avec toutes les traditions du regard. Les images traditionnelles jouent sur une sorte de réflexe de focalisation centrale du regard, peut-être neurologiquement fondé. Toutes les images, du graffiti primitif au grand écran cinématographique, aspirent le regard vers leur centre - un centre plus ou moins décalé par rapport à leur centre géométrique dans certaines constructions « originales ». À l’inverse, l’écran informatique comporte quasi toujours sur ses bords des icônes, des menus, des palettes, donc des outils par lesquels on peut agir sur le « contenu » de l’écran, c’est-à-dire sur ce qui se trouve, peu ou prou, au centre de l’écran par rapport à ces bords. L’image informatique est une image bardée des instruments de son contrôle. Elle est plus un contenant d’images qu’une image. Aux antipodes des images télévisuelle et cinématographique, à fort pouvoir hallucinatoire, avec lesquelles on la confond si souvent, l’image informatique est une image maîtrisable, qui s’entoure des signes iconiques de cette maîtrise. L’attrait qu’elle exerce ne tient absolument pas à ses vertus hallucinogènes, mais, à l’exact opposé, à la maîtrise qu’elle confère sur le monde qu’elle circonscrit. L’efficacité rééducative surprenante de l’outil informatique vient peut-être pour une bonne part de ce qu’il articule spatialement, dans son cadre rigoureusement délimité, une scène psychique extériorisée en son centre, et les symboles actifs de la conscience volontaire en son pourtour.
28. L’écran informatique offre un cadre très particulier, un cadre en abîme. On peut y multiplier concrètement les fenêtres, y faire advenir et disparaître indéfiniment n’importe quel objet numérique ou n’importe quel cadre numérique. Son étroitesse, sa rigidité, son extrême finitude se doublent de potentialités multiples, d’indéfinies ouvertures, d’aventures inépuisables. Cette profondeur de l’écran informatique, en écho aux profondeurs de la vie psychique, institue un point de fuite, par lequel l’enfant peut, justement, s’enfuir, quitter la dépendance à la situation rééducative, s’autonomiser psychiquement.
29. Tout en étant indispensable à l’efficacité comme à la déontologie de l’action rééducative, la rigueur du cadre rééducatif menace toujours de créer une dépendance à ce cadre. L’utilisation de l’ordinateur redouble certes, comme nous l’avons vu, le cadre rééducatif, mais elle redouble également les points d’échappement indispensables. Dans les rééducations classiques, l’enfant ne peut sortir de la situation rééducative qu’en prenant la porte. Il n’y a pas vraiment de sas entre le dedans et le dehors. D’où, pour une part, les difficultés de la fin des prises en charge. L’ordinateur ouvre une autre porte de sortie, mais au cœur cette fois de la scène imaginaire, dans cette profondeur logicielle indéfinie de la fenêtre informatique, vers l’univers humain global dont elle vient et sur lequel elle ouvre. Quand les enfants se mettent à explorer systématiquement les ressources logicielles de l’ordinateur, cela indique toujours que la prise en charge est potentiellement terminée. L’espace pour penser offert par l’ordinateur peut glisser de l’espace rééducatif pour se penser, à l’espace pédagogique pour apprendre, sans rupture dramatique. Les enfants peuvent ainsi passer, d’eux-mêmes et souplement, d’une logique rééducative à une logique d’apprentissage. Ils peuvent se démontrer à eux-mêmes et au rééducateur que les apprentissages ont cessé de les terroriser ou de les mettre en échec, tout en restant pour un temps encore à l’abri du cadre rééducatif, voire en le réactivant si besoin est.
Quentin : L’ordinateur et le jeu, une observation

30. Quentin a sept ans quand il vient consulter sur les conseils de l’école pour des problèmes de latéralisation. Il est en CP. L’année scolaire est largement avancée. Seules les séances d’observation sont rapportées ici. Quentin est un garçon fin, délicat, grand pour son âge. Il est le benjamin d’une fratrie de trois garçons. Il s’exprime bien, clairement. Il lit très bien pour un garçon qui en est là dans son cursus scolaire. Sa mère lui trouve seulement un léger manque de confiance en lui. Elle n’a pas de demande, et vient seulement sur les conseils de l’école. C’est une femme intelligente, agréable, soucieuse de bien faire pour ses enfants. À l’école, selon elle, Quentin gênerait un peu les autres, par sa tendance à prendre toute la place, en particulier en sollicitant en permanence l’aide de la maîtresse. À la maison, Quentin fait preuve d’une forte personnalité. Il est plein de vie, il gesticule beaucoup, il est difficile à canaliser. Sa mère dit devoir dépenser des trésors d’énergie pour l’amener à se concentrer sur ses devoirs scolaires. Il pique parfois des colères. Il « boulotte » entre les repas. Il a tendance à « dépasser les règles ». Selon elle, la loi du père est « implicite ». « Ça transite par moi », dit-elle, tout en soulignant qu’elle a la charge de trois grands garçons, qui semblent cependant plus la combler que lui peser. Elle est discrètement fière de ses garçons.
  • 1 Prince of Persia est un grand classique du jeu d’aventures, dans lequel le joueur incarne un (...)
31. Les parents ont tous deux un haut niveau professionnel, mais la mère n’exerce pas son métier. La mère sera présente au début de chaque séance, pour un bref entretien avec la rééducatrice. À la première séance d’observation, Quentin choisit d’emblée l’ordinateur, dont il n’a aucune expérience préalable, comme la rééducatrice le vérifiera par la suite. Il choisit Prince of Persia1. Ses relations à l’adulte sont très directes. Il demande aisément de l’aide. Cependant, il semble très vite dominateur. Il repousse physiquement la rééducatrice pour refuser son intervention, sans agressivité particulière, d’ailleurs, mais avec un naturel qui renvoie probablement à sa position de petit dernier, bousculé par ses frères aînés, et habitué à devoir jouer des coudes avec les grands pour se faire une place parmi eux. Il perçoit bien ses réussites, et sait les mettre en avant pour refuser des aides mal venues. Il proclame : « Je suis arrivé au même niveau que toi ! ». Il ne se décourage pas devant la difficulté. Il dit lui-même : « J’ai compris la technique ». De fait, il maîtrise remarquablement vite cet outil inconnu, ainsi que les principales commandes de ce jeu, qui n’est pourtant pas facile. C’est manifestement un enfant très intelligent.
32. Son attention est soutenue, alors que c’est là sa difficulté la plus nette. La capacité de l’ordinateur à mobiliser l’attention de l’enfant joue ici à plein. Mais, pendant tout ce temps d’activité d’une surprenante efficacité, Quentin est saisi par ailleurs d’une agitation désordonnée de tout le corps, hormis de ce qui le rive à la machine, regard et mains. On a l’impression qu’il est traversé par une violente décharge motrice, sans en être pour autant perturbé dans son activité informatique. Il donne l’impression de se cliver physiquement. En jouant, Quentin s’identifie très fortement au petit personnage qu’il dirige sur l’écran. Il est passionné, tendu, très ému. Il suspend sa respiration, comme en apnée. Il est vite fatigué, voire épuisé par cet investissement émotionnel intense. La rééducatrice note une légère immaturité psychomotrice.
33. Avant de partir, il fait un dessin. Il demande un crayon noir, avec lequel il dessine Les joueurs de cartes, de Paul Cézanne. Il reproduit assez remarquablement l’essentiel de la disposition de ce tableau. Le dessin est très rigide. Les visages des joueurs sont vides. Les chaises collent parfaitement au profil du corps des personnages, mais elles n’ont pas de pieds arrière.
34. La reproduction spontanée d’un tableau est pour le moins inhabituelle chez un enfant de cet âge, mais peut être rapportée aux intérêts artistiques très forts de son milieu familial. Quentin a de plus vu récemment avec sa classe une exposition consacrée à ce peintre. La structure du dessin est moins anodine. Elle semble indiquer à la fois un étayage très fort de l’enfant (les chaises qui collent au profil du corps), et une profonde incertitude dans la stabilité de cet étayage (l’absence de pieds arrière).
  • 2 « Doudou » est une des dénominations populaires de l’objet privilégié adopté par les (...)
35. À la deuxième séance, sa mère dit que Quentin a repris son « doudou »2. Elle reconnaît que la grande taille de son fils fait que toute sa famille ne le met peut-être pas à sa vraie place. Elle a pris conscience d’une certaine souffrance chez son enfant, et elle en remercie la rééducatrice. À propos des difficultés de Quentin à se concentrer sur ses devoirs à la maison, elle dit : « Il s’évade de la relation avec moi ».
36. Quentin reprend Prince of Persia. Il est d’emblée dans l’émotion. Il s’exclame, multiplie les commentaires. Mais la surprenante décharge corporelle de la séance précédente a disparu. Il semble que l’ordinateur joue désormais à plein son rôle de contenant corporel. Quentin ne parvient pas à commander l’avancée à petits pas de son personnage. La bonne commande suppose que l’on maintienne enfoncée d’une main la touche Majuscule, pendant que l’on commande la direction et l’importance des déplacements de Prince avec le pavé des touches fléchées de l’autre main. Ce découplage des mouvements des mains lui fait problème.
37. Ces difficultés sont normales dans cette phase de première appropriation du jeu. Toutefois, chez Quentin, elles évoquent des diadococinésies. Leurs modalités indiquent un développement psychomoteur mal assuré. La dissociation-coordination est mal installée. Les problèmes de latéralisation repérés par l’école sont confirmés.
38. La rééducatrice accompagne verbalement l’enfant et théâtralise le jeu. À un moment, elle s’exclame, plus en direction du Prince virtuel qu’en direction de son pilote réel : « Attention, tu t’accroches à quelque chose qui ne tient pas ! ». Après un nouvel essai, Quentin parvient à franchir ce passage difficile. Il commente : « Maintenant, on a compris ».
39. Il entérine ainsi le partage de son identification au petit prince de l’écran avec la rééducatrice. Cette facilité avec laquelle il fait une place à l’autre au cœur même d’un processus intense d’identification est assez surprenante, surtout chez un enfant que l’école a signalé comme envahissant. On peut voir là un exemple de la « triangulation » de la relation rééducative induite par l’introduction d’un partenaire virtuel apporté par l’ordinateur.
40Face à un autre obstacle, il refuse les propositions d’aide de la rééducatrice. Il échoue, mais il recommence, il s’obstine à se débrouiller seul à sa façon. Il refuse l’alternance en usant d’une formule subtile : « Si je perds, c’est à moi, et si je gagne, c’est toujours à moi ». À la fin de la séance, il écrit la dictée préparée la veille avec sa mère, d’un seul trait et sans aucune erreur, alors que cette dernière avait eu l’impression de ne pas avoir mené à terme cette préparation.
41. Lors de la troisième et dernière séance d’observation, Quentin reprend Prince of Persia. Il se projette moins massivement sur l’écran, et parvient ainsi à une meilleure maîtrise des commandes du jeu. Il réalise parfaitement la commande d’avancée à petits pas. Il nomme la touche Majuscule la « touche de la prudence ». Il se dédouble mieux pour mieux asseoir son interaction avec le logiciel. Il se détend, souffle. L’identification moins forte au personnage-écran lui permet une attitude plus décontractée, plus ludique. Son attention est de ce fait plus soutenue, plus durable. Il va beaucoup plus loin dans le jeu. Il accélère les déplacements de son personnage. Il parvient à se saisir de l’épée, et à tuer le premier sbire de Jafar. Il demande lui-même à enregistrer sa partie.
42. L’interactivité avec la machine a très vite renforcé ses capacités d’attention et de contrôle.
43. Sa mère le trouve en très nets progrès. Son attention lui semble moins fugitive. Reste, en lecture, sa propension à sauter des pans entiers de phrase, que la rééducatrice a pu elle-même constater sur Prince. Son père s’en occuperait un peu plus.
44. Au terme de ces séances d’observation, Quentin apparaît comme un enfant sans grand problème. Nous avons vu qu’il a probablement quelque peine à trouver sa place dans sa fratrie. Les parents eux-mêmes, habitués à des garçons plus grands, tendent à surestimer sa maturité, d’autant que Quentin est physiquement grand pour son âge. C’est de plus un garçon fier, qui n’a aucune propension à jouer le rôle du petit dernier. Il cherche à s’imposer, ce qui montre bien la qualité et la force de sa personnalité, bien repérée par sa mère. Quentin présente quelques difficultés de contrôle de soi. Les propos de sa mère indiquent une assez faible présence de son père auprès de lui. Quentin semble quelque peu en manque d’attentes paternelles, d’appel à identification de la part de son père. Ces faiblesses restent cependant mineures. La façon très positive dont ce garçon tente de surmonter ses difficultés exclut qu’il souffre de réelles carences relationnelles et éducatives.
45. Cet enfant relève plus d’une action de prévention que d’une prise en charge rééducative. Le projet sera pour lui de prévenir la cristallisation des quelques difficultés d’adaptation constatées à l’école et à la maison, en particulier en l’aidant à consolider sa maturation psychomotrice et son autonomie psychique.
46. Ces observations montrent très clairement la façon dont le dispositif informatique contient corporellement l’enfant, tout en suscitant en même temps une forte mobilisation émotionnelle, en particulier à travers certains jeux. Ici, Prince of Persia est l’archétype même de ces jeux très mobilisateurs. C’est un conte mis en acte, qui bouleverse immédiatement ce garçon œdipien. Comme la lecture d’un conte, d’ailleurs, l’ordinateur fige corporellement l’enfant, tout en l’agitant émotionnellement « à l’intérieur ». La différence avec la lecture traditionnelle est que l’interactivité spécifique à l’ordinateur, renforcée par ses possibilités audiovisuelles, rend cette mobilisation des émotions particulièrement intense, voire « dramatique ». L’enfant s’identifie aux mouvements vifs et diversifiés du personnage qu’il pilote. Il court, grimpe, saute et combat à travers lui. Les effets structurants traditionnels de la lecture s’en trouvent décuplés et accélérés.
47. L’ordinateur apparaît ici également, plus techniquement, comme un remarquable support d’observation. La contenance corporelle immédiate qu’il assure est particulièrement précieuse pour l’observation d’enfants agités, dont le symptôme psychomoteur est tellement envahissant qu’il rend souvent difficile, voire impossible, une appréciation plus globale de leur problématique. Plus généralement, l’activité de l’enfant sur le poste informatique met particulièrement bien en évidence, voire « en scène », son rapport à l’objet, ses compétences sensori-motrices fines, son appétence par rapport aux tâches productives, ses capacités de compréhension et d’invention, sa capacité à jouer et ses capacités d’imagination. Mieux que tout autre support, il présente de plus l’avantage de révéler très vite, en quelques séances, voire en une seule séance parfois, le potentiel d’évolution des enfants dans tous ces domaines.
Robert : L’ordinateur et le dispositif rééducatif : un contre-exemple

48. Robert est un garçon de sept ans, grand et mince, presque maigre. Il est en cours de CP lorsque sa mère l’amène en consultation, à la demande de l’école. Il est menacé de redoublement, dès les premiers mois de l’année. Il est inattentif à l’extrême, à la limite du refus scolaire.
49. La famille est « de bon niveau », très traditionaliste. Les deux parents travaillent. Selon sa mère, son père est peu présent et « très nerveux ». Robert est le dernier d’une fratrie de trois enfants. Sa mère le présente comme très timide, mais doté d’une forte personnalité. Elle le trouve instable. Bébé, Robert aurait manifesté un refus alimentaire apparu à l’âge de deux mois, mis par sa mère en relation avec le mariage de sa sœur à elle. Il aurait marché vers dix-huit mois. Jusque vers trois ans, il aurait été passif, en retrait, sans initiatives. Les choses se seraient alors améliorées, grâce, toujours selon sa mère, à la prise en charge psychologique de la famille. La sœur aînée a été suivie à ce moment-là. La mère attribue les problèmes de sa fille au fait que le père aurait préféré son fils, le frère aîné de Robert. Le père ne participe jamais aux prises en charge psychologiques.
50. Pendant l’entretien avec sa mère, Robert joue avec l’ordinateur. Par la suite, en observation, il se montre à la fois peu coopérant avec l’adulte, et cependant très dépendant de lui, sollicitant toujours son aide. Il ne regarde jamais la rééducatrice en face. Robert exprime haut et fort qu’il ne veut pas venir faire du travail scolaire, mais qu’il veut bien venir jouer - attitude que la rééducatrice n’avait jamais rencontrée auparavant. Il a conscience de ses difficultés scolaires : « Ça ne va pas du tout dans le cahier bleu », dit-il. Au cours des jeux, il est maladroit, en particulier avec le ballon. Il est emprunté, raide, peu coordonné. La rééducatrice constate un manque d’expériences sensori-motrices. En jouant, il fait des grimaces retenues assez étranges, pas du tout naturelles. Face à l’échec, il abandonne tout de suite, refuse toute autre tentative. La rééducatrice n’observe aucune instabilité, mais plutôt une profonde inhibition. La séance se clôt sur un dessin, réalisé à sa demande à des fins d’observation. Robert refuse de dessiner, mais il finit par revenir de lui-même sur ce refus. Le dessin qu’il se décide à produire est certes pauvre et « froid », mais sans réelle anomalie. Il est plutôt en dessous des limites inférieures de la normalité pour ce qui est des indications qu’il peut donner sur ses capacités cognitives.
  • 3 Ce rituel d’entrée est un moyen proposé aux enfants par la rééducatrice, à des fins (...)
  • 4 Plutôt qu’un jeu, Dr Brain est un environnement ludique qui fédère de multiples jeux de (...)
51. À la première séance, Robert initie ce qui deviendra son rituel d’entrée. En arrivant, il s’effondre sur le canapé présent dans la salle. Il n’a envie de rien. Il semble fatigué dès le matin. Il présente ainsi de nets signes cliniques de dépression. Il refuse d’écrire la date au tableau3, puis accepte à la condition que la rééducatrice ne le regarde pas. Elle s’éloigne. Il écrit alors la date en tout petit. La rééducatrice signifie que la date est illisible à distance. Elle s’approche, la déchiffre et suggère une correction orthographique. Robert refuse de corriger. Au lieu de quoi, il efface toute la date. Ensuite, il va vers l’ordinateur, et choisit Dr Brain4, un ensemble de jeux de réflexion très difficiles pour un enfant de cet âge. Il veut jouer seul. Il ne réussit aucun jeu, passe sans cesse d’un module à l’autre. Il abandonne très vite. Il refuse toute aide, mais il se plaint de la difficulté du jeu. Il fuit toute compétition avec la rééducatrice, et même toute comparaison avec elle, mais il souhaiterait cependant qu’elle lui montre comment jouer. La rééducatrice note qu’elle devra prendre garde à ne pas valider la forte propension de ce jeune enfant à l’injonction paradoxale.
  • 5 Oncle Archibald comprend deux volets. Le premier, orienté vers la lecture, est une reprise de la (...)
52. Dans un second temps, toujours sur l’ordinateur, Robert choisit le CD-ROM Oncle Archibald, de la collection Playtoons5. La rééducatrice le dirige vers le premier volet de ce CD-ROM, qui propose la « lecture » d’une bande dessinée, sous une forme animée et interactive. Elle sait par expérience que le second volet de ce CD-ROM est hors de portée d’un enfant de cet âge, et ne veut pas laisser Robert s’enferrer dans un deuxième échec, surtout lors d’une première séance. Robert fait preuve de curiosité par rapport à l’histoire proposée, mais, contrairement aux autres enfants, il n’a pas du tout envie d’en connaître la fin. Lorsqu’il quitte le poste informatique, contrairement à la règle posée, il n’éteint pas l’ordinateur.
53À la fin de la séance, il se dit déçu. Il affirme qu’il n’a pas pu beaucoup jouer, alors même qu’il n’a fait que cela, sans grande intervention de la part de la rééducatrice, d’ailleurs. Il semble s’enfermer dans le rôle crispant de l’éternel insatisfait.
54. À la deuxième séance, il est toujours aussi agressif, étrangement cassant pour un enfant si jeune. Il répond du tac au tac. Cette fois, il ne s’installe pas d’emblée sur l’ordinateur. Il fait d’abord un tour de patinette. Puis, il prend la maison Fischer Price et une boîte de figurines Playmobil, avec lesquelles il joue seul, sans un mot - ce qui est à nouveau très inhabituel avec ce type de jouets. À la rééducatrice qui lui propose de raconter l’histoire quand il aura fini son jeu, il répond : « Ce n’est pas une histoire ! C’est des fantômes ! » - sur un ton toujours aussi peu amène. Cette remarque fait référence aux fantômes de la bande dessinée d’Oncle Archibald. Après un dessin d’allure phallique au tableau, il reprend la patinette. Vers la fin de la séance, il demande la suite de l’histoire d’Oncle Archibald. Il s’installe à l’ordinateur. Il ne demande de l’aide que lorsqu’il bute techniquement sur la machine. Il se débrouille pour lire seul, malgré ses difficultés. Durant toute la séance, il conserve son regard fuyant, et n’exprime pas d’autre affect que l’opposition cassante qui le caractérise. Cette deuxième séance se clôt sur la même insatisfaction proclamée que la première.
55. À la troisième séance, il s’affale sur le canapé dès son arrivée, l’air abattu, en s’exclamant : « J’en ai marre des escaliers! ». La rééducatrice lui rappelle qu’il n’est pas obligé de venir, qu’elle peut mettre fin à ces séances et l’annoncer à ses parents et à l’institution. Il décide finalement de poursuivre. Il écrit seul la date au tableau, avant d’y avoir été invité. Comme son écriture reste assez petite, la rééducatrice feint de ne pouvoir la lire. Il réécrit alors la date en très gros. Puis, il montre à la rééducatrice un début d’inflammation cutanée, en affirmant que c’est très grave, qu’on peut en mourir. Ce à quoi la rééducatrice répond spontanément, du tac au tac elle aussi : « Tu sais, on peut mourir tous les jours, moi y compris ». Il choisit de dessiner, mais ne veut pas que la rééducatrice le regarde pendant qu’il dessine. Il représente son école, avec sur un côté de grands arbres qui forment comme une grande barrière, envahissante, infranchissable. Là non plus, le dessin ne présente pas de franche bizarrerie, même s’il dégage une forte impression de tristesse et de confusion. Techniquement, il est assez grossier. La cheminée de l’école est perpendiculaire au toit, ce qui indique un retard cognitif sensible, étonnant chez un garçon de ce milieu socioculturel. La séance se clôt sur des jeux de ballon, toujours très maladroits.
56. Il arrive nettement plus gai à la quatrième séance. Il reprend Oncle Archibald, en affirmant : « Je n’ai pas besoin de vous ». La rééducatrice souligne ses progrès techniques dans la manipulation de l’ordinateur. Comme il demande une nouvelle histoire, elle lui répond qu’elle ne dispose que de ce CD-ROM dans cette collection, mais que le logiciel permet de faire sa propre histoire. Il revient vite à l’histoire en cours, qu’il s’efforce de lire sans aide. En fin de séance, il a du mal à quitter. La séance suivante se passe à peu près de la même façon. Cependant, Robert commence à manifester des désirs : il veut lire l’histoire à voix haute ; il veut échanger sa chaise fixe contre la chaise à roulettes. Pour la première fois, il accepte d’éteindre l’ordinateur.
57. Après ce signe d’acceptation du cadre rééducatif, la sixième séance sera assez naturellement une séance charnière. En arrivant, il propose à la rééducatrice ce qu’il nomme le « jeu du vendredi ». Il écrit au tableau : « Vendedi XX Mas », puis il demande à la rééducatrice de trouver ce qui ne va pas. C’est la première fois qu’il joue avec elle, et c’est à son initiative. Ensuite, comme beaucoup d’enfants de cet âge, il joue à écrire au tableau de très grands nombres, en disant : « C’est très important, les nombres » ; « Je fais comme la maîtresse ». Puis, il écrit des dates inventées, en alternance avec la rééducatrice. Sur ordinateur, il lance Oncle Archibald. Le système se bloque en laissant à l’écran un message d’erreur, face auquel il dit d’une voix sourde, bloqué lui aussi : « Je ne sais pas lire ». C’est cette fois l’aveu direct de sa difficulté scolaire, toute réaction de prestance abandonnée pour un instant.
58. Deux séances plus tard, il arrive en affirmant : « Le problème aujourd’hui, c’est que je n’ai pas envie de jouer ». Il choisit alors de dessiner, en affirmant que ses dessins seront pour lui. Il ne veut pas être pas regardé par la rééducatrice. Elle accepte, après lui avoir rappelé la règle du secret qui englobe tout ce qui se passe en salle de rééducation.
  • 6 Sic. On peut imaginer beaucoup de suites. On peut aussi se *******er de ce qui est écrit, et le (...)
59. Il dessine d’abord deux « requins ». Il désigne d’abord le plus gros des deux comme étant l’enfant. La rééducatrice lui fait remarquer cette bizarrerie. Il répond : « Il a grandi, et il va mourir ». Puis, il entame un travail assez tortueux de réorganisation de ces premières représentations. Il réalise plusieurs autres dessins de « requins ». Il découpe, en contour, tous les requins qu’il a dessinés. En découpant à toute allure le dessin du gros requin, il tranche « par erreur » son gros appendice ventral, en affirmant : « Si je coupe, il n’est pas mort ». Au bout du compte, le gros requin ainsi castré est désigné comme la mère. L’enfant est un requin plus petit, en tous points semblable à la mère, mais non castré. Sur son appendice ventral, Robert a écrit : « papa est un6 ». Le père est un grand requin très effilé, allongé comme une anguille, mais moins imposant que la mère, avec un appendice ventral discret.
60. Il est clair que s’opère ici, non seulement la projection des préoccupations préœdipiennes et œdipiennes de l’enfant, mais un vrai travail psychique, laborieux, d’élaboration et de transformation de ses préoccupations, qui débouche sur une appréhension plus réaliste de sa position familiale. Cette séance capitale sera suivie de plusieurs absences, comme c’est très souvent le cas en pareille occasion.
61. À la neuvième séance, il reprend Dr Brain. Il réclame d’abord de jouer seul, mais avec une petite voix d’enfant mal assuré, et non plus du tout sur son ton cassant habituel. Au cours du jeu, il reste un peu provocateur, mais sur un mode plus enfantin, un peu « bébé blagueur ». Il s’accroche à ce jeu difficile. Il accepte l’aide proposée par la rééducatrice, qui s’arrange pour qu’il finisse sur une réussite.
  • 7 Kid Pix est un logiciel de dessin spécialement destiné aux enfants, proposant une large gamme (...)
62. À la séance suivante, il reprend Dr Brain. Cette fois, il en explore tous les modules, par curiosité, sans trop s’attarder. Il ouvre Kid Pix7, pour la première fois, mais ne parvient pas à dessiner ce qu’il souhaiterait. Il demande alors à faire un dessin « pour de vrai ».
63. À la onzième séance, après avoir frappé sur un gros ballon, il s’écrie : « J’ai un gros ventre ». Puis il annonce : « Nous allons avoir un bébé ». La rééducatrice l’amène à se repositionner comme frère de l’enfant à naître. Cet échange est suivi d’une explosion motrice, exceptionnelle chez cet enfant plutôt « coincé ». Il se roule par terre, pousse des cris, frappe violemment un punching-ball. Après s’être calmé, il se met à chantonner. Puis il joue avec de grandes structures, en particulier en se lovant dans un pont retourné, dans lequel il se balance et se relaxe, encouragé par la rééducatrice. En fin de séance, il dessine un château fort impressionnant, qui occupe tout l’espace d’une grande feuille. À une question de la rééducatrice sur les occupants du château, il répond : « Ils sont partis ». Au pied du château, il a dessiné un requin. Il part en formulant pour la première fois un projet pour la séance suivante : jouer avec le tunnel.
64. Le rappel au réel nous semble une composante indispensable dans toutes les prises en charge d’enfants, fussent-elles à dominante thérapeutique. Nous suivons ici Anna Freud, qui a toujours affirmé l’inéluctable dimension éducative des thérapies d’enfants. L’enfant n’a pas la maturité cognitive nécessaire pour distinguer de lui-même entre le fantasme et la réalité, surtout pas quand son environnement est lui-même source de troubles en ce domaine, comme c’est ici le cas. Il a dès lors besoin de la guidance éducative d’un adulte. Sauf à vouloir entretenir la confusion mentale de l’enfant, la clarification des frontières entre le réel et l’imaginaire, aux sens ordinaires de ces termes, nous semble un travail préalable indispensable à tout réaménagement psychique.
65. De fait, à la séance suivante, il joue à cache-cache avec la rééducatrice. Il lui demande de compter jusqu'à mille. Elle lui fait remarquer que c’est très long, que la séance sera terminée avant qu’elle n’ait compté jusqu’à mille, et qu’elle ne pourra donc pas le chercher. Il maintient sa demande. Elle commence donc à compter. Pendant qu’elle déroule la chaîne des nombres, il se cache dans le tunnel, puis derrière l’ordinateur. Il lui demande de cesser lorsqu’elle arrive à 350. Il abandonne aussitôt et sa cachette, et ce jeu.
66. À la dernière séance, il s’affale en arrivant sur le siège de l’ordinateur, mais il ne l’utilise pas. Il dit : « Je n’ai pas d’idée ». Il est mal à l’aise, agressif. Il découvre le mikado géant. Il fait une partie avec la rééducatrice. Il est toujours très maladroit. Il essaie de tricher, il accepte mal de perdre. Toutefois, ce faisant, il entre dans un vrai rapport de compétition. Comme la rééducatrice lui fait remarquer qu’il n’a pas écrit la date, il l’écrit, avec une faute à « juin ». La rééducatrice écrit le mot correctement, à côté. Il fait mine de ne pas la regarder, puis il efface le tout, et réécrit la date, correctement cette fois. C’est la première fois qu’il accepte, à sa façon, une rectification orthographique.
67. Il finit la séance en dessinant au tableau un aigle en plein vol, dans une grande bulle. Il demande à la rééducatrice d’écrire « aigle » dans la bulle. Très ******* de son dessin, il voudrait qu’il ne soit pas effacé. Elle lui explique que c’est impossible. Elle souligne que ce dessin est à lui seul, et lui demande de le mémoriser, puis de l’effacer lui-même. Ce qu’il accepte. Pour la première fois, il livre quelques vrais sourires d’enfant.
68. Robert passe en CE1. Ses difficultés scolaires se sont atténuées. Sa mère, lors du dernier entretien, dit : « À la maison, ça va beaucoup mieux », tout en affirmant que son père devrait s’en occuper plus souvent. La rééducation, motivée par le symptôme scolaire, peut s’arrêter là, même si les difficultés personnelles de fond de l’enfant persistent.
69. La problématique de Robert apparaît comme très spécifique. On peut faire l’hypothèse que cet enfant, proche de la normalité à certains égards, mais très éloigné à d’autres égards des conduites ordinaires des enfants de son âge, présente une « faille » dans son développement. Les positions de retrait de Robert, l’éternelle fuite de son regard, sa réticence à la communication avec les adultes, son ton cassant, ses barrières, ses châteaux forts, tous ces indices plaident en faveur de cette hypothèse. Les problèmes alimentaires hyperprécoces, ainsi que la longue phase de « passivité » de l’enfant, selon le terme de sa mère, sont de bons indicateurs de l’enracinement lointain de ses difficultés. Il est probable que quelque chose n’a pas été fait, ou a été mal fait, lors du premier maternage, par rapport au corps du bébé, par rapport au holding en particulier. Le bébé a peut-être été mal porté, mal soutenu, ou s’est senti mal porté, mal soutenu. Ces dysfonctionnements probables ont fragilisé son assurance fondamentale, son sentiment d’existence et de continuité.
70. La rééducation a travaillé l’inscription œdipienne de l’enfant. Cette brève prise en charge a joué un rôle d’étayage à la poursuite du développement mal assuré de Robert. Le problème de fond de l’enfant, si nos hypothèses sont justes, n’a guère été abordé. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable de raviver une faille aussi profonde, du fait du risque d’écroulement que cela peut comporter.
71. Robert a utilisé l’ordinateur assez régulièrement tout au long de sa prise en charge. Cependant, les seules phases vraiment importantes de sa rééducation se déroulent toutes hors écran. Toutefois, il existe des liens entre ces phases et les activités de Robert sur ordinateur, mais comme ce pourrait être le cas avec n’importe quel support. L’usage qu’il fait de l’ordinateur est marqué par l’expression de ses symptômes, en particulier ses difficultés scolaires et ses inhibitions, ses impuissances, ses renoncements. L’ordinateur n’a en rien accéléré le processus rééducatif. Il ne fonctionne pour Robert ni comme cadre dans le cadre, ni comme autre espace rééducatif. Il n’est jamais utilisé comme scène. Il est un médiateur de la relation rééducative au même titre que les autres, un objet comme les autres.
Conclusion

72. L’effet global le plus constant de l’utilisation de l’ordinateur en rééducation est une accélération considérable du temps de la rééducation. Parfois jusqu’à l’emballement : l’enfant doit alors s’arrêter, régresser, prendre le temps de digérer ses élaborations et ses transformations. C’est aussi son effet le plus mystérieux, lié, peut-être, à la profonde parenté de l’ordinateur avec la pensée, en particulier dans sa dimension collective.
73. L’ordinateur offre à l’enfant en rééducation un espace de représentation dans lequel il peut projeter et organiser un travail psychique largement facilité et dynamisé par les caractéristiques de cet outil. L’ordinateur facilite également la construction du cadre indispensable à l’efficacité proprement thérapeutique de ce travail psychique.
74. Encore faut-il que l’enfant se saisisse des opportunités offertes par l’ordinateur. L’exemple de Quentin montre à quel point l’ordinateur peut fonctionner immédiatement comme « organisateur » psycho-corporel et relationnel, et infléchir ainsi très vite les conduites d’un enfant. Par contre, tous les moments significatifs de la prise en charge de Robert se déroulent avec des supports classiques. L’ordinateur n’est plus ici qu’un médiateur parmi d’autres de la relation rééducative. Il n’ouvre à Robert aucun espace significatif. Ce dispositif technique peut certes devenir un espace pour se penser aux fortes qualités étayantes et organisatrices, mais seulement si un sujet humain vient de lui-même y déployer ses hantises et ses espoirs.
Bibliographie

Brel S., Garrel H. (Avril/Mai 1999), Ordinateur et déficience : une rééducation, Paris, Perspectives psychiatriques, 38-2, pages 144 à 149.
Garrel H., CALIN D. (1998), S’autoriser un ordinateur en salle de rééducation ?, Paris, Envie d’école, N° 15, Revue de la Fédération Nationale des Associations de Rééducateurs de l’Éducation Nationale.
Garrel H., Calin D. (2000), L'enfant à l'ordinateur (Une pratique d’aide aux enfants en difficulté : observations et réflexions), Paris, L'Harmattan.
Notes

1. Prince of Persia est un grand classique du jeu d’aventures, dans lequel le joueur incarne un jeune prince qui doit délivrer une belle princesse retenue prisonnière par le méchant vizir Jafar dans un immense palais oriental. Pour ce faire, il doit trouver son chemin dans un dangereux labyrinthe, éviter de multiples pièges mortels, et vaincre les nombreux sbires armés qui veillent aux détours des interminables couloirs de ce palais.
2. « Doudou » est une des dénominations populaires de l’objet privilégié adopté par les très jeunes enfants, que Winnicott nomme « objet transitionnel ».
3. Ce rituel d’entrée est un moyen proposé aux enfants par la rééducatrice, à des fins d’inscription et de repérage dans le temps. Elle écrit elle-même cette date pour les non-scripteurs. Ce procédé présente l’avantage de faire le lien avec une pratique scolaire très classique.
4. Plutôt qu’un jeu, Dr Brain est un environnement ludique qui fédère de multiples jeux de réflexion, très difficiles dans le niveau supérieur. Le fil conducteur de cet environnement est l’histoire d’un « savant fou », le Dr Brain, qui a perdu son cerveau au cours de l’une de ses expériences. Le joueur doit lui permettre de retrouver les différents éléments de son cerveau, en réussissant progressivement à tous les jeux qui composent ce logiciel. Ses progrès se mesurent au pourcentage de reconstitution du cerveau du Dr Brain. L’assistante du Dr Brain commente ses résultats au fil du jeu.
5. Oncle Archibald comprend deux volets. Le premier, orienté vers la lecture, est une reprise de la BD classique, en version bilingue français/anglais. L’utilisation intelligente des possibilités de l’informatique a permis d’enrichir considérablement la BD. En cliquant sur les divers éléments des cases, on déclenche de multiples jeux ou animations. Le deuxième volet du CD, orienté lui vers la production, permet de construire assez facilement une histoire, une BD, ou même un dessin animé, en offrant une large palette de fonds d’images, et de personnages ou d’objets à coller sur ces fonds. Lorsqu’on lance ce jeu, on doit d’abord choisir l’un ou l’autre de ces deux volets, le volet « lecture », ou le volet « production ».
6. Sic. On peut imaginer beaucoup de suites. On peut aussi se *******er de ce qui est écrit, et le lire comme « papa est entier », non castré.
7. Kid Pix est un logiciel de dessin spécialement destiné aux enfants, proposant une large gamme d’outils (formes, gommes, pinceaux, déplacements, tampons) et une riche palette de couleurs et de trames de fond.


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ÊÇÑíÎ ÇáÊÓÌíá: 12 - 9 - 2008
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 17

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ÞÏíã 02-01-2009, 22:47 ÇáãÔÇÑßÉ 2   

J'espère que ce dossier vous plaira


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ÊÇÑíÎ ÇáÊÓÌíá: 20 - 10 - 2013
ÇáÓßä: ÃÑÖ Çááå ÇáæÇÓÚÉ
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 17,180

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ÞÏíã 15-08-2019, 09:48 ÇáãÔÇÑßÉ 3   


ÔÜßÜÜÜÑÇ ÌÜÜÒíÜÜáÇ áÜß..ÈÜÜÇÑß ÇááÜÜå ÝÜíÜÜß.
Merci infiniment pour ce partage
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L’ordinateur taguejgalet fatima zahra ÇáÃÑÔíÝ 10 05-02-2009 17:45


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