FICHES METHODOLOGIQUES
LA LECTURE METHODIQUE
1. En quoi consiste-t-elle ?
Il s'agit de proposer à partir d'un texte un ou plusieurs axes de lectures qui permettent d'en dégager les intérêts littéraires.
Comment procéder
A. Lire son texte
B. Définir sa typologie
C. Définir ses buts
D. Réfléchir aux rapports entre l'écriture et les points B et C.
3. Moyens à mettre en oeuvre :
A. Pour un texte argumentatif: rechercher la thèse et les arguments
B. Pour une texte poètique : étudier la construction du poème, la versification, le rythme, la place des termes dans le vers,
C. Repérez les effets linguistiques tels que les figures de style, les jeux de sonorité, la disposition des phrases dans le texte
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I- Lire méthodiquement un texte:
1. Définition de l'épreuve:
L'exercice oral de
la lecture méthodique consiste à étudier un texte
en organisant méthodiquement ses analyses à partir des caractères originaux du texte.
La lecture méthodique ne prétend pas tout dire sur le texte: elle choisit des perspectives,
des axes de lecture à partir de l'observation attentive et réfléchie
des formes mises en œuvre dans le texte. C'est « une explication de texte consciente de ses démarches et de ses choix » (Instructions officielles).
Exemple: On pourra fonder l'analyse d'un texte narratif sur l'étude du
point de vue. Le relevé des indices pertinents pour déterminer le «
point de vue » narratif fournira une « entrée » dans le texte.
À partir de là, on pourra formuler des hypothèses de lecture qui permettront de construire peu à peu une signification du texte.
Exemple: On définira le rapport qu'entretient le personnage avec ce qui l'entoure, ou bien on fera
Analyse d' un poème de manière méthodique
Jean Tardieu, "Outils posés sur une table"
Mes outils d'artisan
sont vieux comme le monde
vous les connaissez
je les prends devant vous :
verbes adverbes participes
pronoms substantifs adjectifs.
Ils ont su ils savent toujours
peser sur les choses
sur les volontés
éloigner ou rapprocher
réunir séparer
fondre ce qui est pour qu'en transparence
dans cette épaisseur
soient espérés ou redoutés
ce qui n'est pas, ce qui n'est pas encore,
ce qui est tout, ce qui n'est rien,
ce qui n'est plus.
Je les pose sur la table
ils parlent tout seuls je m'en vais.
Jean Tardieu, "Poèmes pour la main droite" Formeries
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Compétence
: analyser un poème de manière méthodique
Problématique : comment l'écriture devient elle-même objet ? Le poète explore le langage comme un objet mystérieux que le lecteur doit décoder.
Introduction
Poème en vers libres écrit par Jean Tardieu, fils d'un artiste-peintre et d'une musicienne (sa mère était harpiste). Ainsi le titre de la section " Poèmes pour la main droite " rappelle le " concerto pour la main gauche " de Ravel ; et le titre " Objets posés sur une table " évoque certains titres de natures mortes en peinture : Chardin, Braque ou Picasso (" Verre, bouteille et pipe sur une table ", " Carte, verre, bouteille sur un guéridon, " Compotier sur une table ", " Pain et compotier aux fruits sur une table ")
La poésie est donc pour Tardieu un art de synthèse réunissant musique et peinture : le poète est un musicien du langage, mais n'oublie pas la dimension plastique du texte : Tardieu a ainsi écrit des Poèmes à voir
L'analyse suivra la progression du texte :
1ère strophe
: le poète, artisan du langage
2ème strophe
: les pouvoirs du langage
Clausule
: l'autonomie du poème
Ier axe : le poète, artisan du langage
Le titre " Objets posés sur une table " annonce deux horizons d'attente :
1) On attend l'évocation d'un atelier. On pense à une poésie simple, concrète : connotation prosaïque du mot " outils "
2) Ce titre rappelle aussi des titres de " natures mortes " et s'inscrit dans une tradition picturale.
Strophe 1
Ambiguïté des premiers vers : " artisan, je les prends " : le poète se présente comme un simple artisan du langage. Tradition qui remonte à Boileau : " vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ". Jean Tardieu utilise la stratégie de la fausse piste.
Mise en scène de l'écriture : le poète s'adresse à ses lecteurs et présente sa boîte à outils : " mes outils ", " vous ", " je les prends devant vous ".
Enumération des outils linguistiques qu'il utilise : "verbes, adverbes, participes, pronoms, substantifs, adjectifs". Mais paradoxalement, il ne mentionne pas ce qu'on appelle habituellement les mots-outils : conjonctions de coordination, de subordination
Effet de sens : ce sera précisément au lecteur d'assembler les mots du texte, de créer le sens.
Etude de la métaphore : " mes outils d'artisan " = désigne les outils linguistiques utilisés par le poète. Son travail sur les objets est d'abord un travail sur le langage. L'atelier devient la page blanche où s'inscrit le poème.
IIème axe : les pouvoirs du langage
Strophe 2
Après avoir précisé la nature des outils linguistiques utilisés, Tardieu définit dans cette strophe leurs fonctions :
" éloigner " : ex : v.1 # v.2 : le poète crée une distance entre le sujet "Mes outils d'artisan" et le verbe "sont" rejeté au vers suivant. Le texte mime son propos.
" rapprocher " : v.5 et v.6 : suppression de la ponctuation qui rapproche "verbes adverbes participes" (v.5) et "Pronoms substantifs adjectifs" au v.6.
v.11 et 12 : construction en chiasme de ces deux vers:
éloigner rapprocher
réunir séparer
Effet de symétrie inversée. Là aussi, le poème mime le sens.
v.13 et suivants : le poète fait exister les objets en les nommant. Il est le poète par excellence <
poiein= créer d'après l'étymologie grecque du verbe. Le poète est le créateur qui fait surgir les objets en les nommant.
IIIè axe : la pirouette finale du poète
A la clausule (distique), nous avons un changement de registre, une rupture de tonalité. Celle-ci est plus fantaisiste et tranche avec la complexité de la strophe précédente.
La fin du poème coïncide avec la fin du travail du poète. Celui-ci pose ses outils. Nous avons ici une mise en scène ludique de l'écriture. Le poète ne se prend pas au sérieux.
" je les pose " fait écho à " Outils posés " du titre
" je les (cod) pose ", " ils (sujet) parlent tout seuls". Autonomie du texte poétique
Le poète se regarde écrire, il prend du recul par rapport à son texte. Il se retire sur la pointe des pieds : " je m'en vais "
Mais le texte continue à vivre grâce au pouvoir des mots et grâce à la médiation du lecteur qui les fait vivre
Conclusion
Glissement de l'évocation de l'objet vers le langage lui-même. Ce dernier devient l'objet sur lequel le poète médite. Evocation des outils linguistiques utilisés par le poète. De plus, Jean Follain insiste sur l'autonomie du poème qui continue à vivre une fois créé.
Ceci rappelle l'anecdote racontée par Paul Valéry dans Variétés : l'auteur se promène dans la rue et un passant lui demande du feu. Il sort alors son briquet, donne un peu de feu à son interlocuteur. Mais reprenant sa route, la phrase " avez-vous du feu ? " continue de résonner en en lui ; et le mot feu évoque alors d'autres feux (rôle des connotations). Nous sommes là, dit Valéry, au bord de l'état de poésie
.