LE CROQUE-MORT
...MAMA donnait aux morts leurs ultimes ablutions!!!
Sa fonction était la source de nos angoisses.
Personne n'osait la regarder en face dans les yeux...et si par mégarde cela arrivait,on pouvait lire des lueurs extraordinaires qui paralysaient de frayeur,le plus témeraire de nous tous...une paralysie fascinante qui nous emportait dans le monde de l'au delà.
On l'imaginait,enfermée seule avec un corps inerte sur lequel elle s'acharnait en soins ,baumes et psaumes religieux.
Les chrifates de la grande maison la respectaient et l'honnoraient...et chaque fois que MAMA leur rendait visite,elles la retenaient pour manger...
Alors commençait le grand supplice pour nous les enfants.
Les repas en famille étaient pris en commun autour d'une grande table et on reservait toujours à Mama la place d'honneur.Nous ,les enfants ,on se bousculait pour s'arranger à ne pas l'avoisiner...on mangeait à meme la main,et frôler celle de Mama qui lavait les morts, suscitait en nous des hauts-le coeur insoutenables.
Nous admirions l'indifference des chrifates qui s'empiffraient jovialement à ses côtés.
Le jour ou ma grand-mère Lalla habiba mourrut,ce fut MAMA qui se chargea de lui administrer ses dernières ablutions...Ce jour là,elle fit son travail dans une tristesse immense.Elle avait enlevé toute sa parrure de colliers et c'était avec peine qu'elle arrivait à retenir ses larmes
Jamais auparavant,je ne lui avais vu cet aspect fragile et humain...pour Lalla habiba ,elle vouait un véritable culte.
Triste et affligés par cette disparition,nous les enfants de la grande maison,on pouvait entendre MAMA entonner des prières en faveur du corps inerte.Sa voix ,nous parvenait de derrière la porte de la pièce qui renfermait les secrets du travail de MAMA.
Ce moment pénible prit du temps à finir...MAMA sortit enfin,le visage livide et les yeux embués de larmes...regarda tout le monde d'un air abbatu et annonça à toute l'assistance,que tout etait fini et que le corps de la defunte était le dernier de sa mission de croque -mort...plus jamais ,elle ne toucherait à un autre corps.
C'est à ce moment douloureux de ma vie de petite fille,que j'ai pu réaliser la grandeur d'âme de cette femme qui avait choisi de laver les morts ,et qui avait décidé de clore son périple en donnant les ultimes soins à sa chère amie Lalla habiba
Je ne pus m'empêcher de m'approcher de MAMA et de la toucher...ses mains étaient encore humides et ô combien douces ,quand elle fit un geste pour essuyer mes larmes!
Je ne sus jamais ce que devint cette femme magnifique car par la suite,je dus quitter Guerrouane pour mes études...Mais au fond de moi même ,j'ai su garder le beau profil de femme noire et élégante ...qu'était MAMA...